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des idées calvinistes du XVIe siècle. Duplessis-Mornai, pendant cinquante ans, a combattu sans relâche dans les conseils des rois, dans les livres écrits pour le peuple, dans les remontrances adressées aux états-généraux, dans la correspondance des personnages les plus illustres ; il a combattu, avec la plume et avec l’épée, pour la tolérance religieuse, la liberté civile, l’équilibre européen.

La politique calviniste, telle qu’on la trouve résumée dans les écrits de Duplessis-Mornai, avait un double programme : elle embrassait à la fois les questions extérieures et intérieures qui, à cette époque, préoccupaient la France. La première partie de ce programme, celle qui touche aux affaires extérieures, fut exposée nettement dans un mémoire présenté par Mornai à Henri III, quelques années après l’avènement de ce prince. Mettant à profit un des rares intervalles de calme qui semblaient n’éclairer la France que pour lui montrer toute l’horreur de sa position et l’étendue de ses maux, Mornai développe dans ce mémoire un nouveau plan d’agression contre l’Espagne, dont la puissance venait de s’agrandir encore par l’adjonction du Portugal et de ses immenses colonies. Le Discours sur les moyens de diminuer l’Espagnol est une des conceptions les plus vastes et les plus hardies de la politique moderne. Cette fois, ce n’est pas en Flandre que se circonscrit le génie de l’auteur, il embrasse, il enveloppe l’univers entier, l’ancien et le nouveau monde. Ce discours révèle une connaissance de la géographie politique et de la carte militaire des deux continens qu’on admirerait aujourd’hui même dans un homme d’état.

En présence de l’Espagne, qui s’agite pour absorber l’empire et veut s’associer avec la papauté pour se partager le monde, l’auteur démontre nettement quels sont les vrais intérêts, les vrais alliés de la France. C’est sur les princes protestans qu’il lui conseille de s’appuyer pour tenir tête à l’Espagne et à l’Autriche. La France, en nouant une étroite alliance avec le roi de Danemark, peut fermer le Sund à l’Espagne, qui reçoit par ce détroit les blés de Russie pour les Pays-Bas, le bois, le goudron pour sa marine, les salpêtres pour son armée. Sur un autre point, elle peut encore susciter des embarras sérieux à l’empire de Charles-Quint. Quatre galères et autant de fustes suffiraient, avec l’alliance de la Turquie et l’assistance des corsaires de Provence, pour assurer à la France la possession de l’île de Majorque, et lui permettre ainsi de couper les communications de l’Espagne avec Naples et la Sicile. Duplessis-Mornai développe ensuite une conception d’une hardiesse et d’une simplicité également admirables. Il faut, dit-il, envoyer quatre mille hommes à l’isthme appelé Darien, entre Panama et le port de Dios ; « par ce moyen, ou auroit l’une et l’autre mer, séparées d’un très étroit détroit de terre, et de là se peut aller aux Moluques sans circuir l’Afrique, et ne faudroit craindre, avec un peu de bonne conduite, que l’Espagnol nous en chassât jamais, car le François est aussi paré pour secourir ledit pays que l’Espagnol, et aurons plutôt levé mille hommes tant de main que de manœuvres pour telle navigation, que lui cent. »

Cela fait, il reste à atteindre l’Espagne dans une des sources les plus fécondes de sa richesse, dans le commerce des Indes. Duplessis-Mornai propose au roi de France de favoriser l’indépendance des colonies portugaises, qui refusèrent, long-temps après que Philippe II eut réuni le Portugal à la couronne d’Espagne, de se soumettre au joug castillan. Il faudrait pour cela ouvrir aux produits des Indes une voie plus courte et plus facile que celle du détroit de Gibraltar.