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par la loi de leur conservation. Duplessis-Mornai conseilla au parti calviniste d’attendre au moins d’être reconnu par l’état avant d’intervenir en sa faveur. Toute la responsabilité de cette grave résolution pèse sur lui. Il publia en juillet 1597, au nom des églises, un écrit qui résumait tous les griefs du calvinisme, sous le nom de Brief discours, par lequel chacun peut être éclairci des justes procédures de ceux de la religion réformée. Cet écrit est à coup sûr une des plus remarquables productions sorties de la plume de Duplessis ; toute l’histoire du calvinisme en France est resserrée dans quelques pages d’un récit nerveux et vivement coloré. L’auteur prouve, par les leçons encore vivantes de l’histoire contemporaine, par l’expérience sanglante de cinquante années de guerres civiles, qu’il est de l’intérêt de l’état de reconnaître aux calvinistes la liberté de conscience, et que, d’autre part, toute la violence des persécutions est impuissante à la leur enlever. Les calvinistes ont été les sujets les plus soumis du roi, les plus dévoués à la nationalité française ; ils n’ont jamais pris les armes que pour défendre leurs vies et leur cause plus chère que leurs vies. « L’église de Dieu, comme le disoit Théodore de Bèze, est une enclume qui a déjà usé bien des marteaux. » Duplessis, en terminant son discours, s’élève aux mouvemens de la plus haute éloquence ; il demande qu’on ne voie dans ses paroles ni une plainte contre le roi, ni un blâme pour les catholiques, mais un témoignage de la vérité contre la calomnie, de la simplicité contre l’artifice. L’exaltation religieuse qui a inspiré l’écrivain calviniste est aujourd’hui éteinte dans les cœurs, mais la plus froide raison, mûrie par les événemens des deux derniers siècles, ne peut qu’admirer ce magnifique plaidoyer en faveur de la tolérance ; car la cause que plaide ici Duplessis-Mornai est bien moins la cause du calvinisme que celle de l’humanité. Il est douteux cependant que les conseils de sa haute sagesse eussent été entendus du roi, si la gravité des événemens et l’attitude ferme et noble du parti calviniste et de son assemblée générale n’avaient rendu toute hésitation impossible.

Duplessis-Mornai rédigea avec les commissaires royaux ce célèbre édit de Nantes qui rendit l’ordre et la paix à la France et développa si puissamment les richesses publiques. La bourgeoisie, en appliquant à l’industrie l’esprit d’ordre et d’association fécondé en elle par le principe même du calvinisme, répara promptement les désastres de la patrie ; une vie nouvelle circula dans les veines épuisées par tant de guerres ; ce même esprit qui a fait la prospérité de l’Angleterre, de la Hollande, de la Prusse, des États-Unis, improvisa en quelque sorte la prospérité de la France ; et, si l’on veut juger par des chiffres des résultats matériels de l’édit de Nantes, on n’a qu’à se rappeler qu’Henri III avait laissé 100 millions de dettes, qu’Henri IV avait épuisé toutes les ressources de l’état et engagé son avenir pour acheter les seigneurs et les villes de la ligue, et que cependant, quatorze années à peine après l’édit de Nantes, le roi avait pu, grace à la paix intérieure, au commerce, à l’industrie, payer ses dettes et réaliser une somme de 40 millions destinée à soutenir la guerre qu’il préparait en 1610 pour changer la face de l’Europe. Les gigantesques projets de Henri IV, dont Rosni nous a laissé le curieux détail, étaient enfin l’application de la politique calviniste ; le roi espérait renverser la grandeur espagnole et conclure une alliance étroite entre les divers états, alliance qui maintiendrait la paix en favorisant le commerce international, les progrès de la civilisation et de la liberté, et ferait un