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éloigna Duplessis de ses conseils, et, comme la reconnaissance est surtout pesante au cœur des rois, il n’eut plus pour son ancien et fidèle ami qu’une sorte de respectueuse défiance. Henri IV avait dit : « Paris vaut bien une messe. » - « Ce matin, écrivait-il à sa maîtresse, je ferai le saut périlleux. » - Il cherchait évidemment à s’étourdir sur la gravité de sa démarche par une insouciance toute française et par une jactance un peu gasconne. Duplessis croyait que les gouvernemens devaient donner au peuple des leçons de moralité et qu’il y avait un grave danger pour l’avenir à faire bon marché de sa conviction, à ériger l’inconséquence en système.

La royauté a besoin de respect, c’est là son égide, et le calcul de Henri IV était trop évident pour ne pas blesser toutes les consciences. Le parti catholique manifesta hautement son dégoût et son indignation ; les calvinistes gémissaient en silence, et la présence de l’ennemi les retenait seule autour de leur roi. Henri IV ne gagna pas les cœurs par son abjuration et Paris par une messe ; il acheta son royaume pièce à pièce, à beaux deniers comptans, et, profitant avec habileté de l’indignation de la bourgeoisie contre le joug espagnol et du mécontentement de Mayenne, il détacha un à un tous les hommes importans du parti de la ligue, les attirant avec des faveurs et des écus, semant habilement l’or, prodiguant les titres et surtout les promesses. Il engagea dans cet effort décisif toutes les ressources du royaume, et déploya dans la scabreuse négociation de plus de cent traités particuliers une connaissance du cœur humain et des nécessités de la situation digne de sa pénétration méridionale et affligeante pour les amis de l’humanité.

Cependant Henri IV ne réussit pas dans cette œuvre de conciliation ; le parti catholique ne désarma jamais ses justes défiances, et le parti calviniste ne pouvait pas lui pardonner ce qu’il appelait une trahison. Les assassinats, dernière expression du fanatisme, se multipliaient contre lui. Rome, après avoir long-temps fait attendre son pardon, lui imposait les conditions les plus cruelles : recevoir le concile de Trente, rappeler les jésuites, exterminer l’hérésie. Henri se sentait entraîné peu à peu dans les erremens de ses prédécesseurs ; les édits de la ligue contre les réformés étaient encore la loi de l’état, et, si la clémence du roi les suspendait quelque temps, la bonne volonté d’un homme n’était pas pour tout un parti une garantie suffisante. Le roi restait sourd aux prières incessantes des assemblées calvinistes et des synodes ; il différait sans cesse de répondre, et une profonde inquiétude, s’emparant des églises, dicta le célèbre pamphlet anonyme : Plaintes des églises réformées. Malheureusement Henri IV, conseillé par Villeroy, qui avait servi tour à tour Charles IX, Henri III et la ligue, et dont le fanatisme penchait vers l’alliance espagnole, ne pouvait se laisser fléchir aux plaintes déchirantes de cette voix inconnue ; il était entraîné malgré lui sur la pente fatale des réactions, comme tous les hommes qui, au lieu de s’appuyer sur un principe, s’établissent sur le sol mouvant des circonstances, et il s’accrochait aux traditions du passé pour se soutenir, quand un événement imprévu l’obligea à tendre encore une fois la main à ses fidèles serviteurs. Les Espagnols avaient surpris Amiens, et dans cette formidable position, à trente lieues de Paris, ils offraient un point de ralliement à tout ce qui restait de ligueurs dans le royaume. Les églises, sous l’inspiration de Duplessis-Mornai, prirent alors une attitude que l’histoire a calomniée, et qui était cependant impérieusement exigée