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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/76

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traité par le roi avec la plus grande confiance, et cette confiance est méritée sans doute, car son dévouement fut à l’épreuve de la mauvaise fortune. A défaut de renseignemens précis qui expliquent un changement si complet, on a supposé à don Fernand de Castro des vues intéressées qui le rattachaient à don Pèdre. Sa sœur doña Juana, suivant quelques auteurs, aurait eu un fils du roi, et, quelque doute que l’on pût élever sur la légitimité de cet enfant, il devenait cependant un prétendant éventuel à la couronne de Castille. Dans cette hypothèse, don Fernand n’aurait changé de parti que dans l’espoir d’obtenir la reconnaissance de son neveu. Mais, d’abord, l’existence même de ce fils n’est attestée par aucun document contemporain, et, de plus, la suite du récit prouvera que don Pèdre réserva toute sa tendresse pour les enfans qu’il avait eus de Marie de Padilla. Si don Fernand eut quelques illusions à cet égard, elles ne purent être que de courte durée. Il est beaucoup plus vraisemblable qu’une offense du comte de Trastamare alluma dans son ame altière une haine mortelle contre ses anciens alliés. Don Henri, qui lui avait accordé sa sœur lorsqu’il avait besoin de ses services, fit casser le mariage dès qu’il se crut assez fort pour s’en passer[1]. Il obligea sa sœur à revenir auprès de lui, et, après la dispersion des rebelles, il la conduisit en Aragon, où elle se remaria dans la suite[2]. Suivant toute apparence, Fernand de Castro conserva un si vif ressentiment de cet outrage, qu’oubliant ses anciens griefs contre le roi, il ne pensa plus qu’à se venger de don Henri ; et, pour assurer sa vengeance, il s’allia franchement à l’implacable ennemi de ce dernier. Quels que soient les motifs de son changement, il fut le seul des chefs de la ligue que don Pèdre ait toujours ménagé et avec lequel il se soit réconcilié d’une manière franche et durable.

III.

La flotte réunie à Séville n’attendait que l’arrivée du roi pour mettre à la voile. Elle se composait de vingt-huit galères castillannes, deux galéasses, quatre bâtimens à voiles et pontés, nommés leños, outre quatre-vingts navires marchands équipés pour le combat, c’est-à-dire ayant chacun un gaillard élevé, sur l’avant. Dans le port d’Algeziras, elle devait

  1. J’ignore à quelle époque précise cette rupture eut lieu. M. Llaguno (Ayala, p. 382, note 3) suppose que le roi don Pèdre fit casser le mariage pour brouiller don Fernand avec don Henri. Si le roi prit réellement part à cette intrigue, il faut croire que son intervention fut fort secrète, puisque don Fernand porta tout son ressentiment contre le comte de Trastamare. Le prétexte pour la dissolution du mariage fut que les deux époux, étant parens à un degré prohibé, n’avaient point obtenu de dispenses. Ils étaient cousins issus de germains. Doña Isabel Ponce de Léon, mère de don Fernand, était cousine germaine de doña Leonor de Guzman, mère de doña Juana.
  2. A un seigneur aragonais nommé don Philippe de Castro.