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rallier trois galères armées par le roi maure de Grenade ; enfin elle allait être encore renforcée de dix galères et une galéasse envoyées par le roi de Portugal. Le vaisseau que montait don Pèdre était le plus grand qu’on eût vu dans ces mers. C’était une galère nommée Uxel[1], prise autrefois sur les Maures. Elle portait trois châteaux ou tours à plusieurs étages, où l’on plaçait des arbalétriers qui, dominant les navires ennemis, combattaient d’en haut avec avantage. L’entrepont contenait une écurie pour quarante chevaux, et, outre les matelots nécessaires à la manœuvre, son équipage se composait de cent soixante hommes d’armes et cent vingt arbalétriers. L’historien Pero Lopez d’Ayala était à bord de ce vaisseau, commandant du château de poupe. Parmi les capitaines des autres navires, on remarquait plusieurs Génois, considérés comme les hommes de mer les plus habiles de cette époque, qui tous, ainsi que l’amiral Gil de Boccanegra, étaient depuis long-temps au service de Castille.

Vers la fin d’avril 1359, cette grande flotte entra dans la Méditerranée, après avoir vainement attendu pendant deux semaines les vaisseaux portugais sur la rade d’Algeziras. Le 7 mai, elle était signalée à la hauteur de Carthagène, où elle relâcha encore quelques jours[2]. En quittant Séville, le roi avait annoncé qu’il voulait finir la guerre par une bataille décisive. Barcelone, centre du commerce et de la puissance navale des monarques aragonais, devait être le but de ses efforts. À cette époque, cette ville, encore mal fortifiée, comptait pour sa défense, comme Athènes autrefois, sur le nombre de ses vaisseaux et le courage de ses marins. Il était donc important de ne pas laisser à l’ennemi le loisir d’y organiser une résistance vigoureuse ; néanmoins le roi perdit inutilement beaucoup de temps à croiser devant Algeziras, puis devant Carthagène ; enfin il s’arrêta encore devant Guardamar, dont il eut cette fois la satisfaction de prendre le château, témoin de son désastre l’année précédente. Longeant la côte de Valence et répandant partout l’alarme, il rallia enfin à l’embouchure de l’Èbre l’escadre portugaise. Le légat, qui se trouvait alors à Tortose, se fit aussitôt conduire à son bord, et vint le supplier, toujours sans succès, d’accorder quelques jours de trêve. Le roi l’accueillit avec honneur, l’admit à sa table, mais rejeta bien loin toutes ses propositions.

Une escadrille de sept galères, qui précédait la flotte castillanne, cherchant inutilement des navires aragonais, ramena à Carthagène, au

  1. ) Que decian Uxel. D’après cette expression d’Ayala, on pourrait croire que Uxel était le nom du vaisseau. Mais dans quelques pièces des Archives d’Aragon j’ai trouvé le mot oxeles au pluriel, ce qui prouve que c’était un nom générique pour désigner certaine classe de navires.
  2. Arch. gen. de Ar. Autogr. Lettre de l’infant don Fernand à Pierre IV, de Valence, 7 mai 1359, annonçant l’arrivée prochaine de l’escadre portugaise.