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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/793

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— Cela ne vous regarde point, ma nièce, répliqua-t-il sèchement ; les femmes qui sont la cause ordinaire de ces sortes d’affaires, ne doivent aucunement s’en mêler.

— Je crains quelque malheur, osa ajouter encore Mlle de Saint-Elphège ; mon oncle, au nom du ciel, ne vous abandonnez pas à votre juste colère…..

— Assez, ma nièce ! interrompit le marquis d’une voix impérieuse ; remontez chez vous ; faites bonne garde auprès de Mlle de l’Hubac, et ne vous inquiétez pas davantage de ce qui va se passer là-bas.

Le moine entra en ce moment avec l’écuyer de main.

— Mon père, lui dit le marquis, vous allez me suivre dans la tour du donjon ; je vous apprendrai en descendant de quoi il s’agit. La Graponnière, prends ta lanterne de ronde et marche devant-nous.

— Mon oncle, s’écria Mlle de Saint-Elphège incapable de se contenir ; mon oncle, prenez garde ! il se défendra !

— Je vais l’attendre à un endroit où il ne pourra ni m’échapper, ni faire résistance répondit le vieux seigneur en tirant l’épée du fourreau et en serrant la poignée d’or bruni dans sa main décharnée.

Le père Cyprien essaya alors de le retenir ; mais il ne l’écouta point et sortit d’un pas ferme, la tête haute et l’épée à la main. Mlle de Saint-Elphège s’en retourna chez elle tout éperdue. Elle s’était tout à coup figuré que, tandis qu’elle déclarait à son oncle ce qu’elle venait de voir, M. de Champguérin enlevait Mlle de Hubac. Au lieu de rentrer dans sa chambre, elle frappa à la porte de Clémentine. Josette vint ouvrir aussitôt en se récriant et en murmurant à voix basse contre les gens qui ne pouvaient dormir.

— Que fait ma nièce ? demanda brusquement Mme de Saint-Elphège.

À cette question, la suivante fut près de répondre par un éclat de rires des plus impertinens ; mais elle parvint à se contenir, et dit en se rajustant : — Je vais rallumer les bougies, et mademoiselle pourra voir elle-même.

— C’est inutile, ne faites pas de bruit répliqua la vieille fille en allant vers le lit, dont elle entr’ouvrit les rideaux.

La lampe de nuit projeta alors ses timides rayons sur l’oreiller où reposait endormie la tête de Clémentine. La belle jeune fille soupira, mit instinctivement la main devant ses yeux, et ne bougea plus. Mlle de Saint-Elphège laissa retomber le rideau, et s’en alla après avoir commandé du geste à Josette de se recoucher promptement et en silence. La vieille fille venait d’acquérir la certitude que M. de Champguérin s’était introduit dans le château à l’insu de sa nièce, et son esprit se perdait en conjectures sur le motif et le but d’une action aussi audacieuse. En proie à la plus vive inquiétude elle s’enferma dans son appartement,