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funérailles. On ne peut rien décider, en effet, sans en prendre connaissance. Allez, monsieur de La Graponnière, allez chercher cet écrit. L’écuyer de main obéit et reparut un instant après, tenant un large pli dont l’enveloppe était scellée aux armes de la maison de Farnoux. Il déposa ce papier sur la table de jeu où les cartes étaient encore étalées comme si la partie allait commencer, et regarda autour de lui en tremblant. Chacun semblait frappé d’une sorte d’angoisse, et ce saisissement avait gagné Mlle de l’Hubac elle-même ; elle baissait la tête observait avec inquiétude la physionomie de M. de Champguérin. La vieille fille, morne et agitée, levait les yeux au ciel et faisait de sourdes exclamations.

— Nous perdons l’esprit, ma cousine ! lui dit la baronne en recouvrant tout à coup sa résolution et son sang-froid ; assurément, mon oncle ne nous a pas déshéritées. Puis, s’adressant à La Graponnière, elle ajouta d’une voix ferme : — Rompez ces cachets et lisez ; lisez, monsieur.

La Graponnière brisa le double sceau apposé sur les lacs de soie jaune et noire qui fermaient l’enveloppe déploya la feuille de vélin d’une main tremblante, puis il lut à haute voix :

« Au nom de ma la sainte Trinité ! Amen.

« Moi, Gaétan de Farnoux, marquis de la Roche-Farnoux, comte de Nanteuil seigneur de Maligny et autres lieux, premier gentilhomme du roi, etc., etc., étant, par la grâce de Dieu, sain de corps et d’esprit comme en mon meilleur âge, mais prévoyant qu’il me faudra mourir un jour et considérant les mérites et les torts de chacun envers moi, j’ai fait les dispositions suivantes :

« J’institue pour mon unique héritière et légataire universelle la noble la très excellente demoiselle Joséphine de Saint-Elphège, ma nièce… »


La Graponnière s’interrompit ; il y eut un instant de silence et de stupeur. Mlle de Saint-Elphège s’était tournée vers M. de Champguérin avec un mouvement spontané, involontaire. Par un de ces inexplicables tours, de ces élans de générosité aveugle dont les femmes dédaignées sont seules capables, elle concevait la pensée de lui offrir, avec sa main, cette fortune immense que seule elle était appelée à recueillir. M. de Champguérin, les lèvres contractés, le sage blême, s’était levé comme pour voir de ses propres yeux la clause du testament et gardait un morne silence. La baronne aussi était devenue pâle ; pourtant elle dit avec une sorte de calme : — Achevez, monsieur La Graponnière.

L’écuyer de main reprit « Item, je lègue à ma petite nièce Mlle Clémentine de l’Hubac, une pension de six cents écus sa vie durant ; ladite demoiselle, ayant démérité à mes yeux par manque de soumission, demeurera ainsi privée de sa part dans mon héritage.