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« Item, je déshérite formellement et prive de tous droits à ma succession la baronne douairière de Barjavel, laquelle, sans mon avis et consentement s’est unie par mariage secret à M. de Champguérin-les-Templiers… »

La foudre tombant au milieu de la salle verte n’eût pas produit plus d’effet sur les personnes qui s’y trouvaient réunies que ce dernier paragraphe du testament.

— Comme je m’étais trompée murmura Mlle de Saint-Elphège en jetant sur la baronne un regard étincelant, et le cœur gonflé d’une noire jalousie, d’une haine implacable.

— Mon oncle avait découvert ce secret ! murmura Mme’ de Barjavel atterrée ; qui donc nous a trahis ?

— C’est moi, sans le savoir, dit Mme de Saint-Elphège avec une fureur tranquille ; oui, c’est moi… Cette nuit j’ai vu M. de Champguérin dans le préau, et j’ai couru avertir mon oncle… Il s’est relevé et a mis l’épée à la main, le bon vieux gentilhomme, lorsqu’il a su que l’honneur de notre famille était en péril. Si le père Cyprien ne fût descendu avec lui, peut-être, madame qu’à cette heure vous seriez veuve pour la seconde fois..

— C’est ce moine qui lui a révélé notre mariage ! Vous répondiez pourtant de sa discrétion, madame, s’écria M. de Champguérin en se tournant vers la baronne d’un air de reproche furieux.

— Il y allait monsieur, de votre vie et de mon honneur, à ce que je vois : le père Cyprien a parlé, il a bien fait, répondit-elle fièrement.

— Oui, mon oncle a découvert ainsi l’outrage fait à sa confiance, à son autorité, poursuivit impitoyablement Mlle de Saint-Elphège, il a fait justice de cette trahison ; mais ses forces se ont épuisées dans une action si violente, et cette nuit fatale a hâté sa mort.

— Ma cousine, dit la baronne en la regardant fixement, il y a dans le fond de votre cœur quelque chose qui vous rend cruelle.

— Je m’explique tout maintenant, continua la vieille fille hors d’elle-même ; je conçois pourquoi vous me disiez que la Roche-Farnoux serait toujours pour vous un séjour de prédilection, pourquoi vous sembliez rassurée sur les intentions de M. de Champguérin. Vous étiez certaine, en effet, qu’il ne prétendait pas à la main de ma nièce, puisque vous lui aviez donné la vôtre. Eh ! eh ! Vous le connaissiez à peine cependant il y a quelques mois, et certes il y a lieu de s’étonner que votre cœur se soit si promptement décidé.

— Ma cousine, interrompit promptement la baronne avec fierté, je n’ai pas à justifier mon mariage ; mais je veux bien condescendre à vous expliquer ma conduite. Il y a bien des années déjà que je connais M. de Champguérin, et, — je puis l’avouer hautement aujourd’hui, — il y a