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ouvrir mon ame… Hélas ! il dépend de vous que je retrouve quelque tranquillité et quelque contentement…

— Parlez, ma chère Clémentine qu’avez-vous à me demander interrompit Mlle de Saint-Elphège, s’attendant à quelque fantasque désir de jeune fille.

— Je vous demande comme une grace insigne la permission de rentrer au couvent, répondit-elle avec un accent tout à la fois suppliant et ferme ; oh ! ma chère tante, souffrez que je retourne pour toujours dans la sainte maison où j’ai été élevée et où j’ai résolu de prendre le voile…

— C’est donc là tout ce que je puis pour votre consolation et pour votre bonheur s’écria Mlle de Saint-Elphège en changeant de visage. — Et comme Clémentine baissait la tête avec un geste affirmatif, elle ajouta laconiquement : — Eh bien ! je vous l’accorde.

M. le marquis n’aurait pas souffert qu’elle fit ainsi sa volonté ! murmura le bon La Graponnière, désolé de la facilité inconcevable avec laquelle la vieille demoiselle venait de céder aux vœux de sa nièce et prêt à risquer tout haut quelque observation directe ; mais Mlle de Saint-Elphège avait un air froidement irrité qui l’interdit et lui coupa la parole. Il se retourna vers Clémentine et lui dit précipitamment en baissant la voix : — Au nom du ciel, mademoiselle, ne vous décida pas ainsi, considérez votre extrême jeunesse et tous les avantages dont elle est accompagnée. Il s’agit pour vous d’un engagement éternel, et vous ne sauriez trop long-temps y réfléchir. Si vous voulez absolument entrer au couvent, attendez du moins quelques années.

— Dans quelques années, je serais morte de douleur si je restais ici, répondit sourdement Mlle de l’Hubac.

— Voilà, certes, une vocation bien déterminée, dit la vieille demoiselle d’un ton bref. Je confesse que j’étais loin de m’y attendre ; il ne reste plus qu’à prendre les moyens de vous faire faire avec toute sûreté ce long voyage : c’est à quoi M. de La Graponnière avisera quand vous voudrez.

— Ce sera bientôt, fit en soupirant Mlle de l’Hubac.

— Vous fixerez vous-même le jour de votre départ, répondit Mlle de Saint-Elphège, toujours du même air de froide condescendance ; demain M. de La Graponnière ira vous le demander.

À ces mots, elle reprit tranquillement son ouvrage ; Clémentine se rapprocha du guéridon pour continuer sa broderie, et La Graponnière se rassit devant la table de jeu ; mais, au lieu de relever ses tarots, il les éparpilla d’une main distraite et se dit mentalement en regardant la place de son défunt maître Tout allait mieux du temps de M. le marquis.