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reconnaîtrait. J’ai recueilli tout entier ce funeste héritage auquel j’ai été sacrifiée ; mon oncle m’a laissé toute sa fortune, mais il n’a pu rendre ma beauté, ma jeunesse, ces biens inestimables auprès desquels tous les autres biens valent si peu… Non, non, je n’essaierai pas de recommencer une vie usée déjà dans l’ennui et la douleur ; celle qu’on appelait la belle Joséphine n’existe plus, et Mlle de Saint-Elphège mourra à la Roche-Farnoux !

— Sans alliance ! murmura La Graponnière en songeant involontairement à la vieille-demoiselle mentionnée si souvent dans les discours de son défunt maître.

Mlle de l’Hubac ne chancela pas dans sa résolution ; elle commença les préparatifs de son départ avec beaucoup de tranquillité, et, la veille du jour où elle devait quitter la Roche-Farnoux, elle fit des dispositions comme une personne qui se retire pour toujours du monde. Après avoir distribué autour d’elle ses robes, ses dentelles et la meilleure partie de ses bijoux, elle mit en réserve une croix de pierreries qu’elle portait habituellement, et, la montrant à sa tante, laquelle assistait à ces arrangemens avec des alternatives d’attendrissement et de colère concentrée, elle lui dit en baissant les yeux : — Ceci est un souvenir que je destine à la petite Alice ; me permettez-vous de le lui envoyer !

— Faites à votre volonté, lui répondit Mlle de Saint-Elphège.

Elle prit la plume, après avoir arrangé la croix dans un écrin de basane, et écrivit rapidement à la mère d’Antonin.


« MADAME ET CHÈRE TANTE,

« Je croirais manquer à mon devoir, si, avant de m’éloigner d’ici, je ne vous assurais une dernière fois de mes respects. Demain, je quitte la Roche-Farnoux pour retourner au couvent. Ayant une grande vocation pour la retraite et la vie cachée, j’ai résolu, avec la permisse ma tante de Saint-Elphège, d’entrer en religion et de prendre le voile dans la maison où j’ai été élevée. Au moment de me séparer du monde, je veux réparer, autant qu’il est en moi, mes fautes envers les personnes que j’y laisse. Je vous supplie donc, ma chère tante, de me pardonner les torts involontaires que je pourrais avoir eu à votre égard et les peines que je vous ai peut-être occasionnées sans le savoir. Vos bontés ne sortiront jamais de ma mémoire, et tous les jours de ma vie je prierai Dieu pour votre bonheur et pour celui de mon cher cousin Antonin.

« Je vous prie de suspendre cette croix au cou de la petite Alice, afin qu’elle se souvienne de moi quelquefois en la regardant.

« Agréez encore, madame et chère tante, toutes mes soumissions et les respects avec lesquels je suis votre nièce et très humble servante.

« CLEMENTINE DE L’HUBAC. »