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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/838

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même prouve la parfaite bonne foi des réformés. Conduits au bûcher pour crime d’impiété, ils protestaient contre la fausse application du droit, mais ils ne contestaient pas le droit lui-même. Ils mettaient d’ailleurs une sorte d’horrible émulation à poursuivre l’hérésie avec autant de zèle et à la frapper avec autant de rigueur que les catholiques ; c’était pour eux, c’était surtout pour Calvin une affaire d’honneur. On accusait le législateur de la réforme de détruire le principe de l’autorité religieuse : il mettait sa gloire à faire voir au monde que ce principe entre ses mains n’était point affaibli. Tout concourait donc à disposer Calvin aux plus violentes résolutions, la vengeance, le fanatisme, la politique ; ajoutez enfin qu’il s’était déjà trop avancé pour reculer. Logicien dans sa haine comme en toute chose, il ne pouvait épargner à Genève celui qu’à Vienne il avait dénoncé.

Sa résolution arrêtée, Calvin marcha à son but avec une vigueur, une suite et une résolution indomptables. Laissant la ruse, les ménagemens, et tout ce cortége de moyens détournés et de précautions hypocrites qu’il avait employés à Vienne, il leva le masque et combattit à visage découvert. C’est lui qui dénonce Servet aux syndics et le fait arrêter ; c’est son secrétaire qui se porte partie civile et à qui il dicte en trente-huit articles l’acte d’accusation de Servet ; c’est son propre frère qui donne caution pour l’accusateur. Dès les premiers interrogatoires, Calvin paraît en personne et conduit le débat. Pendant le procès, il prêche contre Servet prisonnier. Quand on consulte les églises suisses, il écrit à ses amis et use de toute son influence pour provoquer les conseils les plus rigoureux. Enfin il ne s’arrête qu’après avoir obtenu contre son adversaire une sentence de mort.

Servet, de son côté, résolut de combattre avec énergie. Si, dès les premiers jours, il eût consenti à s’humilier, avoué ses erreurs, abandonné ses doctrines ou essayé de les atténuer, il est très probable qu’il eût sauvé sa vie. Comme Bolsec en 1551, comme plus tard Gentilis, il en eût été quitte pour une rétractation et l’exil ; mais fier, opiniâtre et brave comme un véritable Espagnol, sincère d’ailleurs avant tout et pleinement convaincu de la vérité de ses systèmes, se sentant peut-être aussi soutenu par une opposition puissante, il accepta la lutte, prit même l’offensive et accusa Calvin de l’avoir dénoncé à l’inquisition catholique. Non content de maintenir ses doctrines, il attaqua avec violence celles de Calvin, qui étaient celles de Genève ; il alla jusqu’à demander la vie de son adversaire en offrant la sienne pour enjeu ; il fit tout en un mot pour exaspérer et pousser à bout un homme qui n’eût point été déjà décidé à se porter jusqu’aux dernières extrémités.

La défaite de Servet était certaine. Au point de vue théologique, le seul où on pût se placer, Calvin avait raison sur tous les points essentiels.