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Examinez à fond les trente-huit articles de la plainte qui servit de base au procès[1], vous voyez se détacher dans cette foule de chefs d’accusation trois inculpations formidables que Calvin, sous vingt formes différentes, lançait à son ennemi :

Je vous accuse de nier la Trinité ;
Je vous accuse de nier la divinité de Jésus-Christ ;
Je vous accuse d’être panthéiste.

Sur ces trois points, Calvin avait raison, et il résumait le fond du système. Sur d’autres articles, notamment sur l’immortalité de l’ame, qu’on reprochait à Servet de nier absolument, l’accusé pouvait répondre ; mais qu’importaient quelques exagérations de détail quand le fond de l’accusation était absolument irrécusable ? Le procès cependant dura trois mois, et l’issue, plus d’une fois, put en paraître douteuse. Suivons rapidement la marche des faits.


Le 13 août 1553, Servet est arrêté. Où et comment ? on ne sait. Des légendes populaires ne sont pas des témoignages historiques. Est-il vrai qu’il ait cédé à la curiosité d’assister à une prédication genevoise, et qu’avant le début du prêche il ait été reconnu et dénoncé ? Cela est peu probable ; mais ce qui est très certain, c’est qu’il fut découvert par les espions de Calvin et que Calvin lui-même requit son emprisonnement de l’un des syndics. Nous le savons par son propre aveu. « C’est sur ma demande, écrit-il à Sulzer, qu’un des syndics le fit conduire en prison, cet homme que sa mauvaise étoile amenait à Genève, et je ne dissimule pas que j’ai cru de mon devoir de faire tout ce qui était en ma puissance pour que cet hérétique obstiné et indomptable fût hors d’état de répandre ses poisons[2]. »

Il ne suffisait pas de faire arrêter Servet ; il fallait, selon les lois de Genève, trouver un homme qui se portât partie criminelle contre l’accusé et qui consentît non seulement à se constituer prisonnier, mais à risquer, en cas d’acquittement, de subir la peine qu’eût méritée le coupable, c’est-à-dire ici la mort. Plusieurs penseront peut-être qu’il eût été noble à Calvin de jouer sa vie contre celle de Servet ; mais ce serait oublier qu’il ne pouvait convenir au chef de la réforme genevoise de traiter avec un homme qu’il poursuivait comme hérétique sur le pied de l’égalité. Écoutons Calvin s’expliquer lui-même : « Que les malveuillans ou mesdisans iargonnent contre moy tout ce qu’ils voudront, si est-ce que ie déclare franchement… que pour faire venir un tel homme à raison, ie fis qu’il se trouva partie pour l’accuser[3]. »

  1. M. Rilliet de Candolle a publié le texte de cette plainte dans son mémoire, p.135.
  2. Epist. Calv. Ad Sulcer., 9 sept. 1553.
  3. Déclaration, etc., p. 54.