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Et, s’enivrant d’air pur et de fleurs sans culture,
A pour luxe éternel l’amour de la nature.

Dieu te donne aux chanteurs pour ange gardien ;
Tu tailles dans le houx leur rustique soutien ;
Sous ta cape de laine ils vont de ville en ville ;
Par toi leur lyre est d’or si leur coupe est d’argile.
Bienheureux entre tous ces aveugles divins
Qui mangent ton pain noir sur le bord des ravins !
Le monde, après mille ans, et sans que rien l’en sèvre,
S’abreuve encor du miel échappé de leur lèvre.
Qui ne voudrait t’aimer et te suivre à ce prix ?
Ne t’éloigne donc plus ; à ceux que tu chéris
N’épargne pas la faim, les maux de toute sorte,
Ange, mais au désert où l’Esprit les emporte,
Devant le vrai royaume entr’ouvert à leurs yeux,
Fais-leur goûter parfois le pain venu des cieux.
Montre-leur un moment le laurier que Dieu donne ;
Mets en eux le mépris de toute autre couronne,
Pour qu’au fort des douleurs du jeûne et de l’oubli,
Quand le démon viendra, jugeant l’homme affaibli,
Les tenter à l’écart avec un pain immonde
Et leur offrir la pourpre et les trônes du monde,
L’esprit du Maître en eux se relève à l’instant,
Et qu’ils disent aussi : Retire-toi, Satan !


VICTOR DE LAPRADE.