Elle n’a retrouvé la parole que pour entourer d’une dernière précaution sa beauté disparue, dont le regret la poursuit encore pendant son agonie.
La partie réelle du drame achevée, le lyrisme reprend son cours. « Nuit après nuit se passe, dit l’auteur ; la lumière brûle au bord de la fenêtre ; le corps gît étendu sur sa couche. Édith veille toujours à ses côtés, et les vagues les appellent toutes les deux pendant la nuit entière. Nuit après nuit ! les vagues s’enrouent à répéter leurs mystères ; les oiseaux de l’Océan voltigent, les vents et les nuages fuient sans laisser de traces ; deux bras blancs s’étendent au clair de lune, et montrent là-bas, bien loin, le pays invisible. » On pense, malgré soi, à la chanson de Thékla. Ce lyrisme est une partie essentielle du talent de Dickens : il ne peut s’en défaire, et en Angleterre on n’en tient pas suffisamment compte. Ainsi, dans Barnaby Rudge, la plus complète de ses œuvres, la cloche qui sonne si bien à travers tout le livre que le lecteur lui-même croit l’entendre, n’est autre que l’élément lyrique mis au service de la terreur, c’est-à-dire le fantastique à la manière des Allemands, de Hoffmann, de Kerner, d’Uhland et de l’école des Souabes. Si Dickens n’eût écrit que Barnaby Rudge, je n’hésite pas à dire que ce livre l’eût placé auprès de Scott. Par malheur pour le succès de ce remarquable ouvrage, trop de compositions de Dickens l’avaient précédé, compositions indignes de se placer sur le même rang. Ceux qui avaient applaudi l’auteur de Nicholas Nickleby et de Pickwick ne le retrouvaient guère dans l’histoire de l’idiot et de son corbeau, et ceux qui n’auraient eu qu’admiration sans réserve pour Barnaby se rappelaient trop défavorablement le caractère de ses premiers écrits pour vouloir en aborder de nouveaux.
Nulle part, ni dans Scott, ni dans Lewis même (les deux écrivains anglais qui ont le mieux exploité le sentiment de l’effroi), ne se rencontre une plus profonde entente du terrible que dans Barnaby Rudge. De nos jours, où l’on abuse de tout, on a naturellement aussi abusé de la terreur ; il s’en est suivi, chez la plupart des lecteurs, un certain dégoût pour tout ce qui semble, au premier abord, appartenir au domaine du mélodrame. Nous disons tout ce qui semble, parce que nous croyons qu’ici encore on s’est peut-être plus pressé de condamner que de comprendre. La terreur est de deux espèces, réelle et fantastique ; l’une s’adresse à l’imagination, l’autre aux sens. Les grands poètes savent quelquefois exciter la terreur fantastique, presque jamais la terreur réelle. Macbeth et Hamlet font penser, rêver surtout ; mais ni le spectre du roi de Danemarck errant au clair de la lune sur les remparts d’Elsineur, ni celui de Banquo s’asseyant à la table de son meurtrier, ne produit dans l’aine du spectateur l’espèce d’épouvante que savent y porter d’autres écrivains moins illustres. On a l’esprit trop