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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/919

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préoccupé des hautes questions philosophiques soulevées par le poète pour se laisser émouvoir à la vue d’un spectre dont l’apparition n’a, du reste, pour but que de nous plonger plus avant dans l’abîme de la spéculation. Shakespeare une seule fois, dans Othello, a franchement abordé le terrible ; mais là encore le poète se fait trop sentir, et, quelle que soit la réalité de la scène, la part de l’idée (comme disent les Allemands) est si grande, que l’on finit, avant que Desdemona ait exhalé son dernier soupir, par voir dans le More un type et par rechercher le sens obscur de son monologue d’entrée. La terreur étant peut-être la plus personnelle de toutes nos sensations, nous n’accordons le privilège de nous en inspirer qu’à la peinture de certaines situations où nous pourrions être placés nous-mêmes ; par conséquent, ce qui se passe dans une sphère au-dessus de la nôtre intéresse notre intelligence seule et ne trouble guère notre système nerveux. « C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens, » dit Dorante dans la Critique de l’École des Femmes ; mais c’en est une encore bien plus étrange, selon nous, que celle de les faire trembler. Ne fait pas peur qui veut, et celui qui parvient à exciter chez un lecteur intelligent un sentiment de véritable effroi, possède pour le moins une certaine puissance dont il est impossible, quelles que soient d’ailleurs vos opinions, de ne pas tenir compte. En fait de terreur fantastique, les Allemands surpassent tout le monde, et Hoffmann, Zacharias Werner et d’autres, trop nombreux pour les nommer, demeureront toujours les maîtres d’un genre né dans le moyen-âge sur les bords des grands fleuves de la Germanie. Quant à la terreur réelle, nulle part elle ne se retrouve plus fréquemment ni mieux comprise que parmi les écrivains anglais. Où est celui d’entre nous qui n’a frémi à l’aspect de cette jeune fille accroupie au coin d’un foyer éteint, qui, du couteau sanglant que tient encore sa main, montre, insouciante et folle, le cadavre de son fiancé. Jamais on n’a plus victorieusement accompli une tâche plus difficile. Faire jouer tous les ressorts qu’on flétrit aujourd’hui du nom de mélodramatiques sans que le mot de mélodrame vienne à la bouche de personne, c’était, à coup sûr, une rude entreprise, et dont sir Walter Scott s’est tiré avec un rare bonheur dans Lucie de Lammermoor. Plus les faits sont de nature à inspirer l’épouvante, plus tout ce qui les entoure doit être simple et naturel. C’est là que viennent échouer la plupart de nos romanciers français, toujours occupés à vous faire pressentir ce qui devrait au contraire vous surprendre, et à vous faire deviner, à son air fatal, le héros ou l’héroïne dont le crime ou l’infortune sert de base à un récit tragique.

Si l’auteur de Pickwick s’était borné à évoquer l’élément terrible, il se fût assuré une réputation qui ne lui eût rien laissé à envier aux plus