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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/954

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désavoué M. Bartels ; mais c’est précisément dans cette rupture qu’était le danger dont je parlais plus haut. Les modérés de la jeune Belgique, pour mieux séparer leur cause des énergumènes qui la compromettent, faisaient chaque jour un pas en deçà, et, si la couronne réveillait les défiances que M. Rogier avait réussi à calmer, les libéraux avancés pouvaient bien être tentés de faire l’autre moitié du chemin. Or, cette fusion eût mis au service de l’intérêt républicain plus de la moitié des clubs électoraux. Ce n’était donc pas seulement l’homogénéité du parti libéral, c’était la dynastie même qui, pour la première fois, allait se trouver mise en question.

Étrange contre-coup ! c’est un pavé de Paris qui a fait évanouir ce fantôme de république. À la nouvelle des événemens de février, une terreur inexprimable s’est emparée de tous les partis belges. La France franchissait, tambours battans, le Quiévrain ! La nationalité était morte ! Le drapeau de Jemmapes flottant sur les tours de Sainte-Gudule n’eût pas causé plus d’émoi. Léopold, qui ne demandait pas mieux que d’aller reprendre à Londres son traitement de prince royal, a songé à profiter de l’occasion ; mais il n’était plus temps. La Belgique voulait maintenant la monarchie par les mêmes motifs qui lui avaient fait demander la république en 1830-31. Elle voit, dans la différence des régimes, un obstacle à la confusion des nationalités. La France venait de détrôner son roi ; donc la Belgique avait plus que jamais besoin d’un roi, et Léopold, qu’elle avait sous la main, a dû rester, bon gré mal gré, à son poste.

Par une conséquence logique de ce calcul, il était urgent d’isoler le petit groupe républicain. Le ministère a immédiatement présenté dans cette vue un projet de réforme qui donne pleine satisfaction aux libéraux avancés, en abaissant toutes les cotes électorales au minimum de 20 florins. Cette fois, personne n’a songé à consulter les grands propriétaires du sénat, qui, de leur côté, ne demandaient pas mieux que d’être oubliés. Le glas de 93 tintait à leurs oreilles. Revenu de sa panique, le sénat voudra peut-être tenter un dernier essai de résistance ; mais son temps est fait. Il n’a plus à compter désormais sur l’alliance tacite des ultra-conservateurs. C’est dans un intérêt de conservation même que ceux-ci se trouvent désormais conduits à pactiser franchement et pleinement avec les ultra-libéraux.

Ainsi, le contre-coup de notre révolution, qui, dans la pensée du grand nombre, devait tout ébranler en Belgique, a, au contraire, tout consolidé. La royauté belge, qui était tour à tour jusqu’ici une inutilité ou un embarras, est devenue, pour quelque temps du moins, la pierre angulaire de la nationalité, et le parti libéral, naguère si hétérogène, a puisé une unité formidable dans la question même qui le divisait.