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ses cérémonies, même quelques-uns de leurs dogmes, et, sans avoir rompu la chaîne des traditions, le monde romain s’est trouvé le monde chrétien, avec la double garantie de la force et de la durée.

Aujourd’hui, l’entreprise est-elle la même ? Mais il y a deux mille ans que le mot de fraternité a été prononcé pour la première fois, et il y en a quatre mille que l’association a été pratiquée parmi les hommes.

On a dit que le christianisme avait été détourné de ses voies, et que l’individualisme avait usurpé la part de la fraternité. Nous disons qu’aujourd’hui on veut, au nom de la fraternité, proscrire et étouffer l’individualisme. Cette seconde erreur ne vaudrait pas mieux que la première, et il importe de s’en garder. Laissez se développer parallèlement deux forces aussi essentielles à l’équilibre humain que l’attraction et la répulsion à l’équilibre des mondes, maintenez la puissance paternelle au nom de l’association dans les familles ; mais, au nom de la liberté, garantissez aux enfans une action individuelle, sans cela vous aurez la tribu. Au nom de l’association et de la fraternité, soumettez l’industrie et la production à des règlemens de sûreté et à des prescriptions de police ; mais, au non de l’individualisme et de la liberté, laissez au travailleur son indépendance à ses risques et périls, sans cela vous aurez les corporations, les congrégations, les castes. Au nom de l’association enfin, intéressez tous les enfans d’un même sol au progrès de la patrie commune ; mais, au nom de l’individualisme, faites que leurs intérêts, en s’y ralliant, ne se perdent point dans la masse des intérêts publics, qu’ils puissent, au prix d’une douloureuse expérience, s’en séparer, afin d’y revenir avec plus de dévouement et d’expansion ; faites que le citoyen ait des intérêts propres, des affections privées durables et profondes, afin de rendre à son tour à la société l’appui qu’elle lui accorde ; autrement vous aurez le monde fataliste, sensuel et improductif de Brahma ou de Mahomet.

Si donc nous voyons que la doctrine de l’association n’est pas nouvelle, nous estimons aussi que la substitution de, la fraternité à l’individualisme est une doctrine fausse. Ce point reconnu et éclairci, les dangers et les besoins de la situation actuelle de notre pays présenteront moins d’importance et de gravité. La révolution de 1848 pourra être progressive, elle ne sera plus radicale ; il y aura lieu d’améliorer, non de refaire ; on devra recourir au savoir, à la bonne volonté, à la prudence, non à la divination et au génie, ce qui semble devoir être plus facile, ce qui est à coup sûr plus rassurant.

Au point de vue politique, nous le répétons, il n’y a ni dissentiment ni lutte possible sur la forme de gouvernement. Quant aux institutions de détail qui découleront de l’établissement du gouvernement pour tous et par tous, il faut croire qu’elles seront préparées avec cet esprit remarquable de tolérance et de modération qui a signalé la révolution