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incontestable, et j’en prends à témoin les socialistes eux-mêmes, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Nous devons à la liberté du commerce et de l’industrie, à la concurrence si l’on veut, tous les progrès, toutes les merveilles de notre siècle. Sous l’influence de ce régime, la société, prise en masse, s’est enrichie ; la bourgeoisie, sortant de ses langes, a grandi visiblement en nombre, en puissance et en lumières ; le peuple, enfin, a cessé d’être un chiffre pour former un corps agissant et pensant. Le travail, instrument de servage, est devenu le grand chemin de l’aisance. En même temps que la valeur de la propriété, s’est accru le taux des salaires. Depuis la révolution de 1830, l’accroissement représente déjà plus de trente pour cent. Que serait-ce, si l’on comparait le salaire d’aujourd’hui à celui que l’ouvrier obtenait avant 1789, sous le régime des corvées et des corporations, tant que son intelligence et ses bras demeuraient enfermés dans les institutions du moyen-âge ?

La France de 1789 ne pouvait pas payer un budget de 500 millions ; la France de 1847 a pu subvenir à une dépense de 1,600 millions, malgré les fautes de son gouvernement et malgré l’épuisement qu’avait produit une année calamiteuse. La fortune publique voit donc ses ressources au moins triplées. Est-il possible que le revenu de l’état reçoive de tels accroissemens sans que l’aisance augmente et se répande parmi les individus ?

La richesse de l’état et des particuliers s’est accrue de deux manières : d’abord parce que le nombre des travailleurs s’est multiplié et que chacun d’eux a produit davantage ; ensuite parce que la production, secondée par de nouveaux moteurs et par d’innombrables machines, a pu diminuer son prix de revient. L’ouvrier voit ses ressources augmenter, et, le même argent lui procurant plus de jouissances et servant à satisfaire des besoins plus étendus, il s’élève d’un degré dans l’échelle sociale. Voilà le mouvement qui s’opère sous nos yeux, chaque jour, dans tous les pays, et qui devient plus irrésistible à mesure que la liberté pénètre plus avant dans les mœurs.

On parle des variations que la concurrence peut amener dans le prix des choses. Nous n’entendons pas les contester d’une manière absolue ; mais nous ne faisons que rendre hommage à la vérité, en disant que, dans ces oscillations inévitables, le bon marché finit toujours par être la règle, et la cherté des produits l’exception. Ajoutons que les prix vont se réduisant d’année en année, jusqu’à ce que la valeur des produits soit à peine supérieure aux frais de la main-d’œuvre, et que c’est dans les contrées qui jouissent de la plus entière liberté en fait de commerce et d’industrie, que l’on voit coïncider ces deux phénomènes, le haut prix des salaires et le bas prix des objets fabriqués. En présence du spectacle que ce libre développement de l’homme et de la société