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qui l’avaient précédé et dont il s’était manifestement inspiré, non pas parce qu’il égarait moins les esprits, mais parce qu’il leur imprimait d’abord une secousse moins violente.

Que veut détruire M. Louis Blanc, et que veut-il mettre à la place de ce qu’il détruit ?

Les adversaires que son livre prend à partie, dans la société telle que vingt siècles de civilisation l’ont faite, ne sont rien moins que la liberté, la propriété, le capital et l’esprit d’association, en un mot les élémens essentiels de l’ordre ainsi que les forces vives du progrès. Ce qu’il prétend édifier sur ces ruines, c’est, sous une forme ou sous une autre, le monopole universel de l’état, c’est l’égalité absolue des personnes et des fortunes ; c’est, comme l’a dit M. Michel Chevalier, un panthéisme grossier dans le sein duquel toutes les individualités viendraient s’absorber et se confondre.

Selon M. Louis Blanc, la concurrence en matière d’industrie et de commerce est la plaie de notre état social. Cette liberté du travail, pour laquelle nous avons livré de si rudes combats, ressemble au Saturne de la fable, qui dévorait ses enfans à mesure qu’ils venaient au monde. La concurrence est l’arme dont les forts se servent pour écraser les faibles. Elle enrichit les riches et appauvrit les pauvres, accroît les inégalités sociales, engendre l’oppression et la fraude, et tend à remplacer l’aristocratie de race par l’aristocratie d’argent. La concurrence est, pour la bourgeoisie, une cause incessamment agissante de ruine ; elle est, pour le peuple, un système d’extermination. Elle ne procure même pas à la masse des consommateurs le bon marché qui en fait le prétexte et qui en serait l’unique excuse. Sous un tel régime, on passe par un avilissement des prix temporaires pour aboutir à la cherté, et par la licence pour tomber dans la servitude.

Voilà un tableau peu flatté assurément. Ce que M. Louis Blanc dit de la concurrence dans le travail, d’autres l’avaient dit avant lui ; mais ils portaient plus loin l’anathème. La logique, en effet, ne permet pas de s’arrêter dans cette voie. Si l’on condamne la liberté à cause des excès qui en peuvent naître, il faudra étendre le même arrêt à la propriété, à la famille, aux lumières, car il n’est pas de principe dont on n’abuse, et la Providence, précisément parce qu’elle a fait l’homme libre, a placé partout dans sa destinée le mal à côté du bien.

Pour juger sainement les institutions, il s’agit de savoir si le bien l’emporte sur le mal, ou le mal sur le bien, et de quel côté penche décidément la balance. Que l’on examine, dans un esprit impartial, quels ont été, depuis soixante ans, les effets de la liberté pour le commerce ainsi que pour l’industrie, et je ne craindrai pas que les paradoxes éloquens de M. Louis Blanc fassent des prosélytes. Oui, cela est désormais