L’égalité des salaires suppose l’égalité du travail, car il y aurait la même injustice à rémunérer un ouvrier pour ce qu’il ne fait pas qu’à refuser à un autre la rémunération de ce qu’il fait. Ce serait donc peu, pour appliquer le système de M. Louis Blanc, de remplacer le travail à la tâche, ce progrès de l’industrie moderne, par le travail à la journée : on devrait interdire encore à tout travailleur l’usage de ses forces et de son aptitude au-delà de la limite commune. Il ne suffirait pas de planter dans chaque atelier cette inscription : « Tout paresseux est un voleur ; » car le vol pourrait être de deux natures : un ouvrier pourrait faire tort à son voisin, soit en travaillant moins, soit en travaillant plus que lui.
Le système de M. Louis Blanc semble n’avoir été inventé que pour attacher une sourdine à l’intelligence et pour mettre un frein au développement de la production. Il a pris évidemment le travail comme une quantité limitée, puisqu’il propose de le distribuer en parts égales ; toute répartition deviendrait impossible en effet, si la somme du travail devait diminuer ou s’accroître : on ne partage pas l’inconnu. Mais supposons qu’au lieu de se borner à égaliser les salaires, la théorie aille, de plein saut, jusqu’à égaliser la richesse : qu’en résulterait-il aujourd’hui ? Le revenu annuel de la France est évalué à 8 milliards, dont l’impôt prélève déjà le sixième pour les besoins de l’état. Ce qui reste, divisé par le nombre des habitans, donnerait à peine 52 centimes par tête et par jour. Voilà, dépouillé de son prestige et fixé dans le monde réel, l’Eldorado de nos socialistes.
La division du travail, ce principe fondamental de l’industrie moderne, a un tout autre sens et une bien autre portée. Elle reconnaît et met à profit la diversité des aptitudes ; elle donne à chaque ouvrier ce qu’il peut faire, ce qu’il fait le mieux ; elle ne laisse aucune force sans emploi, et rémunère l’emploi de la force, suivant l’effet utile que cette force a produit. La division du travail tend à simplifier les opérations industrielles, à réduire les prix de revient, et par conséquent à agrandir le champ de la production. Or, c’est là le but que doit envisager la société, dans laquelle chaque siècle et chaque peuple sont tenus d’accroître la richesse aussi bien que d’augmenter les lumières.
La division du travail et l’inégalité des salaires, fournissant à chacun l’occasion d’employer de la manière la plus utile les forces et l’intelligence que l’éducation a développées en lui, ont pour effet nécessaire l’accroissement du revenu social. L’accroissement du revenu est le seul moyen de combattre efficacement la misère. Pour diminuer l’intensité du mal, M. Louis Blanc le généralise ; il appauvrit les riches sans enrichir les pauvres ; il enlève aux bons ouvriers une partie de leur salaire pour le donner aux mauvais ; il fait produire moins et moins