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quels résultats il a produits. Ici, en effet, il y a matière à discussion, et, en se bornant à exposer les faits, on peut jeter quelque lumière sur un débat qui paraît encore loin de toucher à sa fin.

Beaucoup d’Anglais, dans leur bonne foi naïve, croient que le gouvernement de la compagnie étend sa bienfaisante action sur tous les peuples conquis, et, à leurs yeux, les mesures extrêmes qu’il ne se fait pas faute d’employer dans l’Inde aboutissent infailliblement au triomphe de la justice et de l’humanité. Nous n’avons pas besoin de dire qu’il est, en certain lieu, des hommes mieux instruits ; mais ceux-là se taisent et pour cause. Quant aux voyageurs et aux écrivains désintéressés, il en est plus d’un, on peut le croire, qui ne partage pas de si riantes illusions, et souvent on a hasardé quelques doutes sur cette touchante sollicitude des gouvernans pour les gouvernés. On est allé même plus loin, et il s’est rencontré des esprits qui, entraînés au-delà de toute limite, ont osé dire que, loin de mériter la reconnaissance et l’amour de ses sujets, la compagnie était exclusivement dominée par des préoccupations de lucre immédiat, et qu’aujourd’hui comme autrefois, la corruption, la fraude et la violence constituaient les principaux élémens de son pouvoir. On comprend sans peine que des protestations aussi ardentes se produisent, sinon sans éclat, au moins sans écho. Comment faire croire au peuple anglais que les Hindous sont plus épuisés, plus appauvris, plus démoralisés sous la domination anglaise qu’ils ne l’étaient sous le joug musulman ? Il est évident pour tout le monde que ce sont là de vaines déclamations qui ont pour but d’égarer l’opinion publique ; mais, s’il faut craindre de s’en rapporter aux adversaires passionnés du gouvernement de l’Inde, il ne faut pas non plus écouter avec trop de confiance ses apologistes intéressés. — S’il était prouvé, disent ceux-ci, que le régime qu’on fait subir aux indigènes est vexatoire et tyrannique, à coup sûr on verrait la conscience publique réprouver des excès déplorables, et la chambre des communes serait forcée d’intervenir, soit pour changer radicalement les bases de l’administration, soit pour renfermer le pouvoir dans des bornes plus étroites. Il y a mieux, ajoutent-ils dans leur honnête indignation, s’il était possible d’ajouter foi à de semblables énormités, il faudrait modifier la charte de la compagnie, il faudrait la dépouiller de tout ce qui fait sa force et sa grandeur ; en un mot, il faudrait lui mesurer cette faible portion d’autorité qu’on laisse à des agens besoigneux que l’on sait infidèles, mais qui se sont rendus nécessaires. Heureusement, disent-ils encore, ce sont là des chimères enfantées par quelques esprits malades ; ce qu’il y a de vrai, c’est que, sous le règne des empereurs, l’Hindoustan était la proie des factions, le théâtre de guerres intestines et l’objet des attaques du dehors. Nous avons régularisé le chaos, et sous notre tutelle bienveillante a commencé une ère de régénération sociale et de prospérité publique.