Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux combattans des barricades, on les insulte ; on déshonore leur triomphe, si c’est là une part du butin. Dans tous les cas, l’argent versé par les contribuables n’appartient en propriété à aucune classe d’hommes ; en perdant sa destination légale, il doit faire retour à l’état.

Le gouvernement, qui représente les droits de tous les citoyens, est le tuteur obligé de ceux qui se trouvent les plus maltraités par la nature ou par la fortune. Il personnifie à leur égard la prévoyance et la fraternité sociales. De même que dans la famille la sollicitude des parens s’attache de préférence aux enfans les moins robustes ou les plus jeunes, ainsi, dans la famille politique, l’état, au nom et comme mandataire des aînés de l’intelligence et de la richesse, doit tendre la main à tous ceux qui ont besoin de conseil et d’appui. Le sort des classes laborieuses et les conditions du travail ont droit à sa première pensée. Il faut que les gouvernemens se montrent jaloux du bien-être du plus grand nombre avec la même ardeur que le pouvoir en avait mis jusqu’ici à rechercher des avantages commerciaux ou des accroissemens de territoire. Cette préoccupation devient surtout légitime au lendemain d’une révolution qui a déplacé beaucoup d’existences, et qui a rendu plus précaires les ressources de chacun ; car la sympathie des uns se mesure naturellement à la faiblesse des autres.

Il convenait à un gouvernement républicain d’arborer bien haut ce principe. Cependant, si nous approuvons la tendance, nous n’accorderons pas le même éloge aux moyens d’exécution. Que le gouvernement provisoire s’occupe du sort des travailleurs, c’est son devoir encore plus que son droit ; mais il n’y avait ni nécessité ni opportunité à mettre les travailleurs en demeure de s’en occuper eux-mêmes. Je comprends l’agitation quand on veut renverser un obstacle ; je ne la conçois plus le jour où il est question de fonder, de constituer, d’organiser. Rien de ce que l’on improvise n’est durable. Les réformes sérieuses et solides demandent de la réflexion et de la maturité. On reproche à la chambre de 1830 d’avoir bâclé en quelques jours une charte politique, et l’on voudrait aujourd’hui faire bâcler la charte du travail au hasard par je ne sais quelle assemblée populaire ! On appellerait les passions du moment à trancher des problèmes sur lesquels l’expérience avait projeté long-temps les clartés les plus vives, sans en dégager l’inconnue !

Dans les derniers jours de février, un combattant, un ouvrier, qui avait pris au pied de la lettre ces belles promesses, pénétra dans la salle où siégeait le gouvernement provisoire, réclamant impérativement et sur l’heure l’organisation du travail. On lui représenta d’abord qu’il fallait du temps pour préparer un système ; puis, comme il insistait « Asseyez-vous là, lui dit M. Louis Blanc lui-même, prenez une plume et donnez-nous vos idées. — Je ne sais pas écrire. — Qu’à cela ne tienne, je vous servirai de secrétaire ; dictez. » L’ouvrier dicta ces mots sacramentels qui forment la tête du chapitre socialiste : « organisation du