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ou suspendre leur activité. L’industrie, comme l’année solaire a ses saisons, et la moisson du travail, comme celle des fruits de la terre, a ses années de stérilité ainsi que ses années d’abondance.

La prévoyance de l’homme tient en réserve pour ces momens difficiles les capitaux accumulés par l’épargne ; mais elle ne rend pas à volonté l’impulsion à la puissance qui produit, et elle ne crée pas le travail d’un coup de sa baguette. L’homme peut toujours employer son intelligence et ses bras ; mais le mouvement est autre chose que le travail. L’écureuil ne travaille pas en faisant tourner la roue de sa Vie ; les mouvemens du prisonnier dans le tread-mill sont de la force dépensée en pure perte ; l’antiquité mystique, dans cette image qu’elle nous présente de Sisyphe roulant jusqu’au sommet d’une montagne un rocher qui retombe sans cesse, n’a pas entendu nous peindre un travailleur ; elle n’a montré aux regards qu’un condamné et des tortures.

Le travail, c’est l’emploi utile des forces ; on le reconnaît à ses produits. Le laboureur travaille quand il déchire le sol en y enfonçant la charrue pour le préparer à recevoir la semence, quand il arrache les herbes parasites qui étoufferaient le bon grain, et quand il creuse des fossés pour l’écoulement des eaux qui détruiraient, en séjournant dans les champs cultivés, la fécondité de la terre. L’ouvrier travaille en tissant la toile ou en foulant le drap, le terrassier ou navigateur travaille quand il nivelle les routes, creuse les canaux ou construit les chemins de fer, qui, en facilitant la circulation des produits, en augmentent aussi la valeur ; mais les quarante mille travailleurs que l’on occupe, depuis les,journées de février, à remuer des terres au Champ-de-Mars et aux Champs-Élysées, ne travaillent pas, car il ne peut résulter pour le pays aucun avantage de cet immense déploiement de pioches, de brouettes et de bras.

Pour créer à volonté la production, il faudrait être en mesure de développer la consommation et d’en reculer devant soi les limites, car les produits les plus nécessaires n’ont de valeur que par l’usage que l’on en fait. Que servirait, par exemple, d’entasser des montagnes de blé ou des troupeaux de bœufs dans une ville déserte, et à quoi bon les richesses du Mexique dans des circonstances où un kilogramme d’argent ne procurerait pas une once de pain ? Si les difficultés devaient cesser quand on a dit que l’ouvrier a droit au travail, la recette serait bien simple : l’état n’aurait qu’à fournir des fonds aux ateliers qui seraient au moment de s’arrêter et qu’à ordonner aux fabricans de produire ; mais ce n’est pas tout de fabriquer : il faut vendre, il faut trouver des acheteurs pour les marchandises que l’on crée, et non ajouter à l’encombrement stérile des dépôts ; il ne faut pas que la production augmente précisément lorsque le marché se ferme ou se restreint. Ajouter en pareil cas, à la masse des produits, c’est les avilir. Pour soulager les souffrances du présent, on lègue ainsi de nouveaux embarras à un