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— À vos meurtrières ! interrompit Ragueneau ; les voilà qui reviennent.

Des bleus rentraient, en effet, dans le cimetière en poussant devant eux une charrette de paille et de fagots, dont ils se faisaient un rempart. Il y en eut quelques-uns de tués ; mais les autres parvinrent jusqu’à la tour et y firent entrer le chariot. Maurice, qui avait deviné leur intention, écarta vivement les poutrelles qui fermaient l’ouverture de la voûte ; un des soldats tenait déjà une torche qu’il approchait des fagots entassés : un coup de feu partit, il tomba, et la torche alla s’éteindre dans son sang. Mais d’autres accouraient de tous côtés ; la fusillade cessa aux meurtrières pour se concentrer sur le rez-de-chaussée de la tour. Les républicains, frappés l’un après l’autre, se succédaient sans interruption ; l’héroïsme de l’attaque égalait l’héroïsme de la défense. Tout à coup un cri de joie éclate parmi les assaillans : une lueur brille, l’incendie est allumé ; il monte, il serpente le long des murs, il atteint les poutrelles. Ragueneau et ses compagnons, suffoqués par la fumée, sont forcés de regagner l’échafaudage supérieur, mais la flamme les y poursuit. L’ennemi, désormais secondé par le feu, dirige mieux ses coups ; plusieurs Vendéens sont mortellement atteints. L’abbé Blanvillain, blessé, s’épouvante et crie qu’il faut se rendre.

— Silence ! monsieur, dit Ragueneau, remerciez Dieu de sa bonté, car vous aviez trahi votre foi, et il vous donne occasion de racheter cette faute par le martyre.

L’abbé baisse la tête, reçoit une nouvelle blessure et tombe en joignant les mains.

Cependant le feu a gagné de proche en proche ; des langues de flamme percent l’échafaudage couvert de blessés et de morts ; le plancher craque de toutes parts. Ceux qui survivent se réfugient sur les entablemens, s’accrochent aux corniches. Pierre Bureau, le dernier de cette lamentable famille égorgée à la déroute du Mans, est tué au moment où il cherche un refuge. Ragueneau, noir de poudre et couvert de sang, continue le combat. Suspendu à une des meurtrières, il décharge les armes que lui prépare Marie-Jeanne. Un coup de feu l’atteint, il n’y prend pas garde. Un second le frappe : il persévère ; mais deux balles lui trouent en même temps la poitrine, son arme lui échappe !…

— Enfin ! murmure-t-il à demi-voix comme un prisonnier qui sent venir la délivrance.

Et il s’abîme au milieu des flammes.

— Maurice, attendez-moi ! crie Marie-Jeanne, qui ouvre les bras et se laisse aller après lui dans la fournaise.

Les bleus, témoins de cet horrible spectacle, se troublent eux-