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Cependant de véritables manufactures s’étaient élevées pour la fabrication des engrais minéraux dont l’exploitation avait paru devoir être si féconde, que M. Muss Pratt de Liverpool s’est muni d’une patente au nom de M. Liebig. La question des engrais minéraux ne laisse plus aujourd’hui le moindre doute dans l’esprit des agronomes de la Grande-Bretagne. Les pertes considérables et le mécontentement de quelques-uns le prouvent assez.

Il était cependant bien facile de prévoir les résultats de ces expériences. Les plantes n’empruntent pas seulement à l’atmosphère le carbone et l’azote, qui concourent pour une si grande part à former la masse qu’elles présentent ; elles les puisent aussi dans le sol qui les supporte. Comment concevoir en effet que les graines, ces parties des végétaux qui renferment le plus de carbone ou qui en exigent le plus pour se développer, prennent ce principe dans l’atmosphère, alors que les feuilles, celles surtout des céréales, se dessèchent et se flétrissent, les feuilles, véritables poumons des plantes, qui ne doivent la singulière propriété d’absorber l’acide carbonique et d’en retenir le carbone qu’à la matière verte qu’elles renferment ? De même que l’administration du fer ne pourrait complètement réparer un sang appauvri, si les règles d’une hygiène éclairée ne venaient en aide à l’action du médicament, de même aussi le sol le plus riche en principes minéraux ne pourrait fournir à la plante qu’une nourriture insuffisante, si d’autres substances ne lui prêtaient une assistance salutaire.

Ainsi, d’après M. Liebig, une plante pour végéter n’avait besoin que de sels minéraux et d’air. La présence de l’ammoniaque dans le sol ou celle d’un engrais azoté était inutile. Les chimistes français, au contraire, ont toujours préconisé la nécessité indispensable de l’ammoniaque ou des engrais azotés. L’expérience agricole faite à si haut prix et sur une si large échelle en Angleterre par les partisans les plus fanatiques des doctrines de M. Liebig a donné pleine raison aux vues des chimistes français, et a condamné sans retour celles du chimiste allemand.

L’aliment si utile dont les végétaux ont besoin est donc cet azote qu’on retrouve dans les graines des céréales, que M. Payen a reconnu indispensable pendant l’acte de la germination, et qui entre dans tous les composés ammoniacaux. Les corps qui contiennent une plus ou moins grande quantité d’azote ne sont pas rares dans la nature ; tels sont les feuilles des arbres, certains végétaux herbacés, comme les lupins, les fèves et le maïs, qu’on utilise dans le midi de la France et en Italie, en les enfouissant dans le sol à l’état vert. Le sang, les détritus, la chair, en un mot toutes les parties des animaux qui sont très azotées, fournissent à ce titre d’excellens engrais. Celui que l’on emploie de préférence en Angleterre est fait avec les os. Les os ont le double avantage de fournir aux céréales, en même temps que l’azote, les phosphates terreux qui en constituent la charpente et dont le blé contient des qualités notables. Emprisonnée dans les sels métalliques auxquels le squelette doit la solidité qui lui est propre, la substance organique ne se décompose que lentement et ne fournit de gaz qu’après un temps très long. Aussi la terre qui a reçu les os en éprouve pendant des années l’heureuse influence. Cependant, si les matières azotées étaient libres, elles agiraient sans doute avec plus d’efficacité. C’est dans cette vue que les agronomes de la Grande-Bretagne ont employé le procédé, depuis long-temps