aussi leur orgueil national, leur esprit turbulent, leur vanité timide devant les forts, effrontée et cruelle envers les faibles : orgueil, vanité, turbulence, qui expliquent leurs révoltes successives, qui entraînèrent leur ruine dans un pays où ils avaient été reçus avec empressement, et qui nécessitèrent les lois oppressives encore en vigueur de nos jours.
En 1574, un pirate puissant, connu en Chine sous le nom du roi Limahon, tenta de surprendre la colonie naissante ; après un combat sanglant et opiniâtre, il fut vaincu, et ses soldats dispersés se réfugièrent dans la partie septentrionale de Luçon, où leurs descendans se reconnaissent encore à leurs yeux bridés, à leur teint plus pâle que celui des Indiens. Sauvée par la bravoure et la discipline des Espagnols, par le dévouement des Indiens catholiques de la province de Tagala, Manille ne tarda pas à prendre une nouvelle importance ; elle lia avec le Mexique et le Pérou des relations de commerce, source d’une prospérité restée célèbre dans les annales de la colonie, lorsqu’une sédition la mit à deux doigts de sa perte.
En 1638, une ambassade partie de Canton se présenta devant le gouverneur don Diego de Salcedo, neveu du fondateur de Manille. Ces envoyés venaient, disaient-ils, s’assurer, au nom du gouverneur de Canton, d’une singularité à laquelle ce haut fonctionnaire ne pouvait croire ; ils venaient voir si réellement la presqu’île de Cavite, au lieu d’une terre inculte, couverte de marécages, n’était point un vaste monceau d’or ainsi que l’avaient rapporté des voyageurs dignes de foi. Conduits avec beaucoup de calme à Cavite, ils purent se convaincre de l’exacte vérité et partirent bientôt. Ces envoyés s’étaient servis, pour pénétrer à Manille et visiter Cavite, d’un prétexte ridicule qui prouvait assez clairement quelle pauvre idée ont les Chinois de l’intelligence européenne. Quelques tentatives, infructueuses d’ailleurs, des Espagnols sur la grande île de Formose avaient profondément blessé la vanité du gouverneur de Canton, sous la protection duquel cette île s’était placée. Avant de rien tenter pour sa vengeance, le mandarin avait voulu en assurer le succès en excitant à la révolte les Chinois des Philippines. De là les ambassadeurs, de là cette ignorance affectée à dessein et le bizarre prétexte destiné à mieux cacher leurs projets. Sans beaucoup d’efforts, ses émissaires réussirent, et à peine étaient-ils partis qu’une sédition générale éclata parmi les Chinois. Le gouverneur espagnol s’était heureusement tenu sur ses gardes, et cette sédition fut promptement repoussée ; on n’eut que le tort de traiter les rebelles avec trop d’indulgence. Les Chinois virent dans la mansuétude des Espagnols une preuve de timidité. Cette opinion augmenta encore leur audace, et, quelques années plus tard, en 1639, une nouvelle révolte, plus terrible, fut éteinte par les Espagnols dans des flots de sang.
De 1645 à 1717, la colonie jouit d’un repos apparent que nulle révolution à l’intérieur, nulle attaque, nulle entreprise au dehors, ne vinrent troubler malgré la guerre allumée entre les Anglais et les Espagnols, malgré la perte d’un galion enlevé par le commodore Rogers en 1709. Toutefois, pendant cette longue période, les germes d’une agitation dangereuse avaient été jetés dans l’archipel. À cette tranquillité apparente de nombreuses catastrophes devaient succéder.
Nous avons dit la part que les moines avaient prise dans la conquête des Philippines. Aux premiers apôtres de l’Évangile, obscurs et pieux missionnaires,