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avaient succédé des prélats avides, ambitieux et corrompus. Le fanatisme, l’ignorance et la superstition avaient, sous leur influence, remplacé les doctrines sublimes de la foi catholique et les lumières de la civilisation européenne. L’inquisition vint encore consolider le pouvoir du clergé, et les moines, véritables maîtres de l’archipel, y dominaient sans rivaux, lorsque leur puissance, minée en Europe par les progrès des idées philosophiques, se vit sérieusement menacée dans la capitale des Philippines par les entreprises de deux gouverneurs, don Jose de Salcedo et don Pedro de Bustamente.

Enlevé dans son palais par les familiers de l’inquisition, don Jose de Salcedo fut jugé par un tribunal secret et envoyé en Espagne après avoir subi plusieurs années de prison comme coupable de modérantisme religieux : ses plaintes, ses accusations même furent vaines et inécoutées. Don Pedro de Bustamente arriva du Mexique et le remplaça dans ses fonctions. Fier, hautain, confiant dans les troupes espagnoles, qui lui étaient dévouées, Bustamente supporta moins patiemment encore que son prédécesseur le joug des moines ; chaque jour il bravait l’archevêque, chaque jour il contrariait ses volontés. Une garde nombreuse, pleine d’affection et de dévouement, veillait aux portes de son palais et l’avait plus d’une fois déjà sauvé du poignard des assassins. Une sédition ne tarda point à éclater dans la ville. Les moines n’avaient pas eu de peine à soulever une population ignorante et fanatique contre celui qu’ils appelaient l’ennemi de la sainte église. Bustamente périt frappé lâchement au moment où il se préparait à haranguer les rebelles. Cette fois encore, la victoire était restée au parti de l’inquisition.

Tranquilles désormais sur leur domination dans l’archipel, les moines, comme pour mieux attester leur puissance, firent élire gouverneur leur archevêque, et, pendant un demi-siècle, ces doubles fonctions furent réunies sur la même tête. En 1762, l’archevêque don Manuel de Roxa était gouverneur-général de la colonie, lorsque les Anglais vinrent mettre le siège devant Manille. L’ineptie, la faiblesse du gouverneur montrèrent quelle faute irréparable les moines avaient commise, en préférant un chef ecclésiastique à un homme de guerre capable, par son expérience et ses talens militaires, de défendre une ville assiégée et de commander à des soldats. La lutte qui avait éclaté en 1756 entre la France et l’Angleterre venait de se terminer par la perte de toutes nos possessions dans l’Inde. Aux victoires de Dupleix et de Labourdonnaye des revers sanglans avaient succédé. L’Angleterre avait tourné dès-lors toutes ses forces contre l’Espagne, notre alliée, dont elle convoitait depuis long-temps les riches et importantes colonies. Déjà la compagnie des Indes étendait ses relations jusqu’au Céleste Empire, elle voulut en assurer le succès par la prise des Philippines, de ces îles si heureusement situées au centre des plus grands foyers commerciaux de l’Asie orientale. Trois mille hommes de troupes européennes, cipayes et cafres furent réunis à Madras, sous le commandement du brigadier-général Draper ; une escadre, aux ordres du commodore Cornish, les transporta rapidement à Manille, que cette attaque imprévue vint surprendre au milieu de ses agitations intestines. Les passes du Corrégidor furent franchies sans coup férir ; Bidondo, que rien ne protégeait contre les Anglais, fut pris et occupé après une faible résistance, et, des tours de l’église de Saint-Sébastien, les assiégeans commencèrent le bombardement de Manille et de sa citadelle. Les dissensions des Espagnols