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en montrions les fils ; elle n’a pas été anéantie, parce qu’elle n’est point allée jusqu’au bout de son audace ; elle a seulement eu la preuve de son impuissance, et cette impuissance ne fera que s’accroître à mesure que les masques tomberont. Otons les masques. Aussi bien l’assemblée nationale est là maintenant pour prononcer sur tout le monde : or, si, avant qu’elle fût constituée, il était sage et nécessaire d’ensevelir dans l’ombre les torts des individus afin de sauver la chose publique, la chose publique ne peut plus aujourd’hui se raffermir et se défendre qu’à la condition que l’assemblée nationale décide en toute connaissance de cause du mérite ou du démérite des individus. Le caractère et l’issue de la manifestation parisienne du 16 avril, le caractère et l’issue des élections générales du 23, voilà les deux points saillans dans l’histoire de cette quinzaine, voilà les deux raisons capitales qui, tout en fortifiant nos appréhensions au sujet de telle ou telle personne, relèvent aussi la foi que nous avons dans le grand corps des citoyens ; deux raisons qui, sans rien ôter de la juste vigilance avec laquelle il faut surveiller heure par heure la crise du moment, doivent aussi cependant rassurer les plus inquiets sur les chances de l’avenir.

Nous n’avons ici ni de goût ni de place pour une chronique qui pénétrerait trop directement dans le for intérieur des pouvoirs qui ont gouverné la France depuis la révolution ; mais il n’est pas besoin de renseignemens très intimes pour expliquer cette singulière alerte du 16 avril, qu’on a bien voulu nommer provisoirement un malentendu, que l’on devra sans doute apprécier autrement devant l’assemblée nationale. Nous ne nous portons point accusateurs publics, mais nous savons que les manœuvres qui ont provoqué l’émotion de ce jour-là continuent sans beaucoup de mystère ; nous savons que les espérances qui, ce jour-là, ont avorté ne dissimulent pas l’envie qu’elles ont d’engager une autre épreuve, fût-elle désespérée ; nous savons enfin que le sang coule, que l’émeute s’essaie à quatre heures de Paris, et, la voyant encore si proche, nous avons bien le droit de dire d’où elle a déjà manqué nous venir. Elle a manqué nous venir du Luxembourg.

On a beaucoup maltraité M. Ledru-Rollin, on a beaucoup incriminé ses actes et suspecté ses intentions ; nous pensons sincèrement que la défiance publique s’est trompée d’adresse en tombant sur lui avec un acharnement trop exclusif : c’est une véritable exagération bourgeoise, de le faire si redoutable et si méchant. M. Ledru-Rollin affecte, il est vrai, d’une certaine manière, d’assumer sur sa tête intrépide, os sublime, tout le poids d’une impopularité dont il se glorifie devant Dieu ; il affecte assez soigneusement d’exposer sa vaste poitrine aux traits de l’envie ; peut-être même rêve-t-il quelquefois qu’il n’y a personne en France à qui la dictature allât aussi bien qu’à lui ; encore est-ce un rêve qui le séduit devant son miroir plus souvent qu’il ne le trouble dans son sommeil. A tout regarder, cependant, M. Ledru-Rollin n’a pas l’ame noire ; il aime les arts et la nature ; le cœur lui bat doublement au refrain de la Marseillaise… quand elle est bien chantée ; « ses paupières s’humectaient quand, monté sur le faîte de l’arc de triomphe, il contemplait, le jour de la revue, l’arc-en-ciel qui sillonnait les cieux. » (Voyez le Moniteur). Pour comble enfin, ses bureaux lisent Jean-Paul et citent avec onction le sentimental humoriste (Voyez le Bulletin de la République.) M. Ledru-Rollin n’est donc pas né tyran, et, sérieusement, il n’a pas en main les élémens d’une tyrannie. Dans cette lutte qui