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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 avril 1848.

Les premiers peut-être dans la presse, nous disions, il y a quinze jours, le mot de la situation, qui nous apparaissait ce qu’elle était à ce moment-là, plus sombre et plus menaçante que jamais. Nous disions que tout le mal venait de l’aveugle complaisance avec laquelle grands et petits caressaient ces rêveries vieilles comme le monde, qui ont voulu se rajeunir en s’appelant des théories sociales, selon le goût du langage d’à présent. Nous disions que tout le péril était dans la sourde agitation que certains d’entre les théoriciens ménageaient ou exploitaient pour transvaser leurs systèmes dans la réalité. Nous disions enfin que la douleur, que l’angoisse de la France, c’était de voir au sein même du gouvernement provisoire les personnes sérieuses effacées par les idées fausses, les républicains qui sont des politiques raisonnables, assiégés, cernés et minés par les républicains qui s’intitulent des socialistes. Nous exprimions notre pensée sous le coup d’une tristesse profonde, parce que c’était le sentiment universel en face des circonstances qui semblaient livrer le pays comme un patient aux mains des faiseurs d’expériences, comme un enjeu surtout aux fantaisies de leur ambition. Nous parlions pourtant avec réserve : quel que fût le dommage causé par cette division intestine qui annulait ou qui égarait le conseil suprême de la république, le dommage eût été plus grave encore, si la division, éclatant trop tôt, n’eût pas permis au conseil d’arriver tout entier devant les députés que la France allait envoyer pour organiser définitivement la république. En l’absence des représentans de la nation, il n’y avait de jugemens exécutoires contre personne, fussent même les plus sévères jugemens de l’opinion ; seuls les représentans pouvaient juger sans appel, et, par leur autorité souveraine, réduire toute résistance à n’être plus que révolte et trahison.

Aujourd’hui nous avons le cœur et la langue plus libres : le danger n’est peut-être point passé, peut-être même est-il pour l’instant à nos portes, mais nous sommes sûrs aujourd’hui que le danger sera vaincu, et d’autant plus certainement vaincu, qu’il sera plus clairement dénoncé. La conspiration que nous sentions dans l’air s’est révélée par ses actes le lendemain même du jour où nous