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de M. Strauss ? À qui se rapportent ces escapades continuelles d’une langue intempérante, fusioris linguæ, raro admodum silentis ? dit Ammien Marcellin. Sérieusement, est-ce l’adversaire du Galiléen que M. Strauss poursuit ainsi ? La réponse n’est pas douteuse, et pourtant Ammien Marcellin donne les détails les plus précis ; Julien a pris la parole, il est harmonieux, il est éclatant, et malheur à qui n’applaudit pas ! si son discours ne réussit pas à Antioche, Antioche tombera dans la disgrace du souverain. Encore une fois, où sommes-nous ? est-ce à Antioche, est-ce à Kœnigsherg qu’on a eu l’imprudence inouie de ne pas goûter cette prétentieuse et royale éloquence ? L’incertitude continue, lorsque M. Strauss raconte les légèretés sans nombre de Julien, ses contradictions de chaque jour, ses décrets rendus, révoqués, repris de nouveau, cette mobilité enfin qu’on n’excuse que chez les dilettanti.

Mais ces détails, si personnels qu’ils soient déjà, ne suffisent pas à M. Strauss. Sa science est impitoyable. Il vient de demander à Ammien Marcellin et à Zozime, à Eunape et à saint Grégoire de Nazianze, les renseignemens les plus nets sur les prétentions religieuses et monarchiques de Frédéric-Guillaume IV ; ce n’est pas encore assez. Derrière le pontife et le souverain, il y a l’homme. Continuons donc l’enquête et arrachons aux témoins leurs derniers secrets. M. Strauss veut pénétrer dans l’intérieur de l’accusé, il veut s’asseoir à son foyer, prendre place à sa table, il veut surprendre les habitudes, les gestes et jusqu’aux grimaces du personnage. Cette fois, vraiment, ce sont les espiègleries de l’érudition ; après cette étude à la fois si sérieuse et si spirituelle, M. Strauss, arrivé au bout de sa tâche, ne veut pas renoncer aux friandises de son sujet. C’est donc sous le masque de l’empereur Julien qu’on nous donnera le portrait en pied de Frédéric-Guillaume, et c’est saint Grégoire de Nazianze qui dessinera hardiment la silhouette. « Cette chevelure inculte, ces épaules démanchées, ces yeux hagards, ces jambes vacillantes, ce nez insolemment retroussé, les ridicules contorsions de ce visage, ces éclats de rire subits et immodérés, cette manie de remuer la tête sans motif, cette parole saccadée, ces questions brusques, précipitées, inintelligentes, et ces réponses si semblables à ces demandes, » tous ces signes avaient frappé saint Grégoire de Nazianze, quand il étudiait avec Julien dans les écoles d’Athènes. Dessiné avec une verve éloquente par le théologien du IVe siècle, ce portrait a dû frapper aussi M. Strauss. Heureuse fortune de l’érudit qui trouvait ainsi toute faite, et par la main d’un si illustre évêque, la plus vive, la plus charmante, la plus cruelle page de son pamphlet !

Est-ce tout enfin ? la comparaison est-elle menée assez loin ? À force d’interroger tous les écrivains du ive siècle, l’auteur a-t-il obtenu de ce grand jury une sentence assez décisive, et se contente-t-il de sa victoire ? Non ; il frappera un dernier coup. Julien et Frédéric-Guillaume