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IV sont vaincus : eh bien ! pour rendre la défaite de l’ennemi plus humiliante encore, M. Strauss va relever Julien, et le romantique moderne restera seul sur la place.

Quelle différence, en effet, malgré tant de rapports manifestes, quelle différence fondamentale entre Julien et Frédéric-Guillaume ! Les deux princes romantiques se ressemblent par leur aveugle haine des idées nouvelles et par l’absurde essai d’une restauration du passé ; mais ce passé qui enchaîne la brillante imagination de Julien, comme il est supérieur à cette société inique, à cette théocratie du moyen-âge, à cette féodalité insolente dont Frédéric-Guillaume a rêvé le retour ! Ce qui enthousiasme Julien, c’est le passé sans doute, mais un passé plein de gloire ; c’est l’adolescence héroïque et éternellement aimable du genre humain ; c’est cette belle civilisation des Hellènes à qui Platon et Sophocle ont assuré une influence impérissable. Voilà pourquoi l’enthousiasme de Julien, bien que ce soit un enthousiasme à l’envers, conserve encore dans ses erreurs quelque chose d’éclatant et de hardi. Julien est un romantique, mais c’est aussi un héros. Son imagination est plus convaincue que son cœur, mais cette imagination lui inspire des vertus sérieuses. Il a vécu aussi sobre que Cincinnatus, aussi chaste que Scipion, aussi laborieux que César, et il est mort avec la courageuse sérénité de Socrate. Sans doute, reprend l’auteur, les prétentions de Julien nous sont odieuses, à nous, fils du présent et qui marchons vers un avenir dont l’aurore s’illumine déjà ; Julien s’opposait à la marche de l’humanité, nous devons donc le haïr. Toutefois, si l’on met à part cette question générale, et que l’on veuille bien ne considérer un instant que les deux systèmes placés ici en présence, alors, entre cette belle liberté du monde antique et le joug étouffant du moyen-âge, nos sympathies peuvent-elles rester incertaines ?

Un mot encore, s’écrie M. Strauss, un dernier mot avant de terminer. Les chrétiens ont défiguré la glorieuse scène de la mort de Julien. Ils l’ont montré furieux, blasphémant le ciel et jetant ce cri de désespoir : Tu as vaincu, Galiléen ! νενιχηχας, Γαλιλαιε ! Ce mensonge a un sens vrai ; il contient une prophétie générale que doit recueillir l’histoire. Cette prophétie, consolante pour nous et menaçante pour nos adversaires, la voici : c’est que tous les Julien, ou, en d’autres termes, tous les hommes qui voudront ressusciter une société morte, tous, si bien doués et si puissans qu’on les imagine, tous seront vaincus par le Galiléen, c’est-à-dire par le génie de l’avenir.

Tel est le pamphlet de M. Strauss, telle est cette œuvre ingénieuse et hardie qui résume avec une netteté singulière toute la polémique libérale des journaux allemands depuis une dizaine d’années. Quelle que soit la gravité des événemens qui viennent de s’accomplir en Prusse,