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Depuis l’an de grace 656, plus d’une pieuse reine, plus d’une épouse méritoire, se sont assises sur le trône. Si l’artiste veut que ces évocations du passé nous émeuvent, il faut que lui-même ait commencé par être ému, et que son œuvre soit, avant tout, une œuvre d’art. Qu’il jette sur ces royales épaules un manteau d’hermine ou un voile de nonne, qu’il entoure ces tailles majestueuses d’un cordon de chanvre ou d’une ceinture ornée de pierreries incrustées, peu m’importe ; ce que je veux voir, c’est la femme, grande, belle ; passionnée, si elle l’a été ; recueillie, si elle a mis son ame entre les mains de Dieu ou d’un prêtre. Je veux que cette tête se redresse royalement ou s’incline ; je veux que cette taille s’assouplisse et se meuve, que ces bras ne soient pas collés au corps, que ces draperies dessinent les contours, que leurs plis se creusent et semblent agités par ce vent qui me fouette le visage ; je veux, en un mot, que la sainte femme ou la reine revivent sous le ciseau, et je ne puis dire que M. Thérasse, dont l’œuvre est estimable et consciencieusement traitée sans aucun doute, m’ait donné tout ce que je réclame.

M. Camille Demesmay n’a pas été plus heureux. Il avait à nous représenter la célèbre Mlle de Montpensier. A cet effet, il a chiffonné un énorme morceau de marbre dans le goût du temps où vivait son modèle. Aussi n’est-il arrivé qu’à nous donner une statuette colossale que ce luxe monstrueux de vêtemens rend extrêmement déplaisante. Le statuaire, comme le poète, doit savoir dans l’occasion faire à l’art le sacrifice de l’exactitude, et ne prendre de la réalité que ce qui convient à son sujet ; autrement l’art n’existe plus.

Que dire du Gaspard Monge de M. Rude, du sieur Ducange de M. Caudron ? Ces deux statues de bronze, destinées, Ducange à Amiens, la patrie de l’auteur du Glossaire, Gaspard Monge à Beauvais, sa ville natale, sont des ouvrages convenables, mais auxquels l’art français ne devra pas un grand lustre. Le Nicolas Poussin, statue en bronze de M. Brian, et le modèle en plâtre de Guttemberg, inventeur de l’imprimerie, de M. Calmetz, peuvent marcher de pair avec les statues de MM. Rude et Caudron. De grace ! messieurs les statuaires, songez moins à l’homme, à sa lourde figure, à son affreux costume, et préoccupez-vous un peu plus de l’art, car, dans ces représentations de personnages plus ou moins célèbres, l’art seul peut vous tirer d’affaire.

M. Malknecht a traité son Mars blessé dans le style banal de ces statues dont on décore nos carrefours. Quoi ! c’est là Mars blessé, mais en fureur, qu’un sombre nuage a porté au pied du trône de Jupiter ! Je préfère au Mars de M. Malknecht le Prométhée en marbre d’un sculpteur anonyme. Cette statue, de grandeur demi-nature, manque peut-être un peu d’accent, mais non de mouvement. Elle exprime plutôt les premières atteintes de la souffrance que les convulsions de la douleur. Il est vrai que le vautour ne fait qu’entamer sa proie. Il y a aussi