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pouvoir tyrannique. Rarement il réside dans le pays : il n’y paraît guère que pour lever ses revenus, s’il ne le fait par procuration ; mais il existe, il aspire une partie de la richesse de la Bulgarie, tandis que les Serbes sont libres à la condition d’un faible tribut au sultan. Le contraste est trop frappant, les relations entre ces deux familles autrefois unies d’un même peuple sont trop suivies et d’un caractère trop amical, pour que les idées qui triomphent ainsi chez l’une n’agitent pas profondément l’autre. Les Bulgares portent donc un œil d’envie et d’espoir sur la constitution serbe ; c’est là l’édifice qu’ils voudraient à leur tour élever sur les ruines des derniers spahilouks. Cette réforme à la fois sociale et politique ne serait certes pas de nature à étouffer le sentiment de la nationalité, la sympathie de race qui intéresse le peuple bulgare au grand mouvement de l’illyrisme, dont le centre est dans la Croatie hongroise. Néanmoins cette législation nouvelle et nationale aurait l’avantage précieux d’enlever aux passions politiques les plus forts de leurs griefs, les argumens les plus propres à égarer la multitude. Au moment où les Serbes s’insurgèrent sous Tserny-George, ils se fussent contentés de la ruine des spahis et du droit de s’administrer, comme les Bulgares s’en contenteraient aujourd’hui. La question n’était que sociale, les résistances aveugles des Turcs la firent politique. Les Serbes songèrent alors à l’indépendance ; il ne leur fut point donné d’y atteindre, mais au moins en ont-ils approché d’assez près pour imposer des conditions aux Osmanlis et pour leur arracher, outre des lois démocratiques, le droit de s’administrer et de se gouverner eux-mêmes en restant tributaires. L’exemple ne serait sans doute pas perdu pour les Bulgares, le jour où ils viendraient à reconnaître que leur honnête patience a été mise à une trop longue épreuve.

Les principautés de Moldavie et de Valachie marchent par d’autres sentiers au même but. Grace au génie de cette race latine si facile à discipliner, les idées occidentales qui règnent souverainement dans les hautes régions de l’intelligence se sont répandues promptement par toutes les veines du pays jusque dans l’esprit des populations agricoles. L’Orient leur a donné l’empreinte de sa gravité traditionnelle, il ne leur a point imposé ses mœurs ni ses usages. Le paysan roumain ne ressemble peut-être que par un seul côté aux autres paysans de la Turquie d’Europe : il sent le besoin de la liberté sans éprouver celui du bien-être et du luxe ; mais, placé entre un présent douloureux et un avenir incertain, après un effort d’enthousiasme, il s’affaisse volontiers dans le découragement. Les cultivateurs moldo-valaques ont sans doute gagné beaucoup à la paix qui règne depuis quinze ans chez eux. Naguère encore leurs cabanes n’étaient que des huttes souterraines, et aujourd’hui, ils sortent petit à petit comme du sein de la terre. Toutefois ils ne le font qu’en regardant, en quelque sorte, avec inquiétude