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pas le remède, et cependant, à mesure qu’elle se développe, on comprend mieux que l’Autriche y puisse encore résister : il lui faut seulement une autre assiette. L’Autriche du prince de Metternich était tout entière tournée vers l’Allemagne, vers l’occident ; elle ne s’appliquait qu’à tenir son rang comme puissance occidentale, et, pour y réussir, elle refoulait ou elle élaguait tout ce qu’elle avait chez elle d’intérêts et d’exigences dont la satisfaction ne se trouvait point là. L’immense empire aggloméré progressivement autour des provinces allemandes ne pesait rien dans la balance où le petit noyau primitif l’emportait toujours. Slaves et Hongrois étaient immolés au profit des tendances germaniques. D’un autre côté, le temps est passé où l’Autriche pouvait se déclarer puissance slave, comme elle en avait encore le choix et comme elle en eut, dit-on, la velléité sous le règne de Joseph II. La place est prise. Si l’Autriche aujourd’hui refluait sur l’orient avec une précipitation trop exclusive, si elle cédait sans réserve aux sollicitations du panslavisme, fût-ce même le panslavisme libéral des peuples, il serait fort à craindre qu’elle ne travaillât pour la Russie. Quelle que soit la loi de l’avenir au sujet de cet universel ralliement des Slaves, l’Autriche n’a pas elle-même à s’y dévouer ; il est un tout autre rôle, un rôle original et fécond, qui lui semble dévolu par la seule nature des élémens dont elle est composée. Que l’Autriche perde la Gallicie, qui entre dans une sphère étrangère à la sienne parce qu’elle relève de l’impérissable Pologne ; que l’Autriche perde l’Italie, qui n’appartient qu’à elle-même il reste encore entre les montagnes des Géans et la Save, entre le Danube et les Karpathes, quatre groupes de populations et de territoires qui n’ont d’ensemble et de consistance qu’en rayonnant sur Vienne, — la Hongrie avec la Transylvanie, la Bohème avec la Moravie et la Silésie, les archiduchés allemands, les Slaves de l’Illyrie et de la Croatie. Il n’y a qu’une façon de faire que Constantinople ne devienne pas russe, c’est que Constantinople soit le centre, le foyer de ces populations pleines d’avenir, serrées les unes contre les autres au midi de la Save jusqu’à Belgrade et depuis Belgrade sur les deux rives du Danube, Bosniaques, Serbes, Roumains et Bulgares. Ce que doit être Constantinople pour toutes ces nations dont la carrière s’ouvrira bientôt, Vienne le serait plus sûrement encore pour ces quatre fédérations disposées autour d’elle par la loi mère du sol et par l’ancienne habitude de leurs affinités. Toutes les capitales ne sont pas destinées à fonctionner comme capitales unitaires ; il faut des villes neutres dans le monde. Ne serait-ce donc pas une belle vocation pour un cabinet intelligent et libéral en Autriche de servir de modérateur commun à tous ces groupes d’états secondaires qui, par une association obligée, tant elle est naturelle, périssent en s’entretuant, s’ils ne s’unissent sous une autorité neutre.

S’il n’y a en effet, dans toute cette région de l’Europe, une association quelconque maintenue par une impartiale neutralité, les élémens si féconds qu’elle renferme n’ont plus d’issue pour se développer et succombent à leur isolement, ou se déchirent eux-mêmes dans l’ardeur réciproque de leurs antipathies. Ils ont besoin d’être à la fois réunis et dominés. Qu’on les suppose divisés qu’est-ce que pourra la population tchèque de la Bohème cernée de tous côtés par l’Allemagne, la Hongrie assiégée, morcelée par les Slaves, l’Illyrie enfin avec ses Slaves du rite latin convoités et tenus en échec par les Slaves du rite