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oriental ? Qu’on les suppose aussi par conséquent abandonnés à eux-mêmes, à la fougue de leurs rancunes, aux instincts destructeurs de l’aveugle rivalité des races : voyez ce qui arrive en ce moment même, depuis que les rênes sont flottantes. Les Magyares l’ont pris de bien haut avec le gouvernement autrichien ; ils se sont très noblement d’ailleurs constitués les avocats de la Pologne et de l’Italie : ils exigent que leurs régimens quittent l’armée de Lombardie ; mais maintenant voici bien une autre complication. Sur les douze millions d’habitans qui peuplent la Hongrie, il n’y a guère que quatre à cinq millions de Magyares ; le reste est valaque et surtout slave, depuis long-temps en révolte, tantôt sourde et tantôt éclatante, contre le magyarisme. A peine la main du gouvernement central retirée, la révolte s’est prononcée partout d’une manière terrible. Dès le commencement de ce mois-ci, la guerre a été pour ainsi dire déclarée sur toute la surface du territoire ; la Syrmie, l’Esclavonie, la Croatie, veulent absolument se séparer ; dans les foyers slaves jetés au milieu de la population magyare, on arbore l’étendard slave, blanc, rouge et bleu ; on brûle solennellement les livres de prières et les registres baptismaux qui, selon la loi faite à Presbourg, étaient écrits en hongrois. La noblesse croate dispute avec colère aux Magyares le mérite d’avoir émancipé les paysans, et le nouveau ban de Croatie, Joseph Jelachich, vient de décréter par ordonnance que celui-là serait puni comme séditieux qu’on surprendrait disant aux paysans qu’ils ne doivent pas l’abolition des corvées et des dîmes à l’unique amour des seigneurs esclavons et croates. Les Magyares sont bien le peuple le plus orgueilleux de la terre ; il est pourtant certain qu’ils seraient tôt ou tard écrasés par ce débordement slave, s’ils ne sont soutenus d’ailleurs, et, quel que soit l’enthousiasme des philosophes panslavistes pour l’avenir de leur race, toute conquête qui effacera l’individualité d’un grand peuple ne sera jamais un progrès de l’humanité.

Si les Hongrois ont ainsi besoin des Allemands, les Allemands n’ont pas de trop du magyarisme pour balancer la prépondérance de l’élément slave. En Bohème, par exemple, la nationalité tchèque se relève avec une violence menaçante. Il y a une sorte de terreur organisée à Prague contre le germanisme. La garde nationale, la garde universitaire, l’armée même, se divisent, parce qu’il y en a presque la moitié qui veut être commandée en langue tchèque. Dans le système parlementaire des deux chambres que promulguait à Vienne la constitution du 13 avril, ce n’était pas trop de la première pour servir de contre-poids à la seconde, où l’on eût va deux députés slaves contre un député allemand. Les patriotes germanisans, qui ont fait la révolution du 15 mai en arborant partout à Vienne le drapeau teutonique au lieu du drapeau noir et jaune de l’Autriche, n’ont pas senti qu’ils compromettaient bien davantage encore l’influence allemande. Ils accusaient le gouvernement de slavisme ; ils ont livré la constituante autrichienne à une majorité slave. Les Slaves, cependant, ne sont pas encore satisfaits, et aujourd’hui même commence à Prague un grand concile national où seront représentées toutes les branches de leur famille : c’est une concurrence significative, instituée tout exprès vis-à-vis de la diète de Francfort.

Que les nationalités prouvent ainsi leur force vivace, qu’elles se réveillent