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beaucoup la dépense. On voudrait sans doute aussi, comme le propose M. Louis Blanc, créer immédiatement des écoles, des salles d’asile, des crèches, des bibliothèques, des salles de lecture où l’on recevrait les journaux. En un mot, c’est toute une société à fonder, à l’image de celle qui existe déjà, et qui ne s’est établie qu’avec les siècles. On comprendrait ce qu’il y a de gigantesque dans cette entreprise, si l’on avait vu de près ce que quelques villages fondés en Algérie ont coûté de peines, de soins minutieux et d’argent. Il a fallu six années de labeurs pour établir moins de six mille colons ruraux, et l’on avait à sa disposition toute une administration civile, aidée par les bras d’une puissante armée.

Lors même, d’ailleurs, que les deux systèmes que je viens d’examiner en raccourci seraient d’une application plus facile que je ne le pense, ils n’en seraient pas moins très lents dans leurs effets ; il est aisé de voir que les choses de cette nature ne s’improvisent pas, qu’elles sont l’œuvre du temps et des soins persévérans d’hommes pratiques. Or, nous avons besoin de remèdes prompts. Il y a urgence extrême de donner une direction utile à cette partie de la population des villes qui n’y trouve plus de travail. Le gouvernement a pris l’engagement de la faire vivre en travaillant : lors même qu’il ne l’eût pas promis, il faudrait qu’il le fît, dans la mesure de ses forces, pour le triple intérêt de l’humanité, de l’ordre social et de la prospérité publique ; mais peut-il continuer long-temps à occuper ce grand nombre d’ouvriers dans les ateliers nationaux ? Assurément non : ce serait une charge d’autant plus intolérable pour la France, que les travaux qu’on exécute ainsi sont de fort peu d’utilité ; cela ne peut donc durer.

L’assemblée nationale, nous l’espérons, améliorera cette situation par des lois et des mesures qui, en ramenant la confiance et le crédit, raviveront l’industrie publique. Toutefois il est à croire que le travail se ressentira long-temps du choc matériel et moral qu’il a éprouvé. Le mal matériel serait bientôt réparé ; il n’en sera pas de même des impressions fâcheuses produites par certains plans d’organisation des travailleurs. On connaît la ténacité des théoriciens ; ils lutteront contre les argumens et les faits. Tant que cette lutte durera, il y aura malaise dans l’industrie, et il est fort, à craindre que de long-temps elle ne puisse donner du travail à tous les ouvriers qu’elle employait avant la révolution. Il faut donc s’occuper immédiatement, avec ardeur et sans relâche, d’enlever à nos cités cette surabondance de travailleurs qui obèrent doublement la république, puisqu’on les paie et qu’ils ne produisent pas. Il faut, le plus promptement possible, doter l’agriculture du trop plein des villes. Sur ce point, je partage l’opinion de M. Louis Blanc. Je reconnais avec lui que cette immense fabrique offre au travail un champ vaste et fécond, un champ à peu près illimité ; mais je ne puis le suivre