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préfère. Seulement le système social dont il s’agit n’est pas à chercher bien loin, il est tout trouvé, c’est la société telle qu’elle est. « Entre la communauté et la propriété, dit ailleurs M. Proudhon avec tout l’orgueil d’un créateur, je construirai un monde. » Voilà encore un de ces propos que j’aime à relever : M. Proudhon était tout à l’heure doctrinaire, voici maintenant du juste-milieu tout pur, ou je ne m’y connais pas ; mais comment ne voit-il pas que son monde est tout construit ? La société actuelle est précisément l’intermédiaire demandé entre l’abus de la communauté et l’abus de la propriété. On veut un système d’égalité absolue ; mais, dès l’instant qu’on admet en même temps le mariage, l’hérédité et toutes les institutions qui existent, que peut-on trouver de plus égalitaire que nos lois ? Le partage égal des successions est même, tel qu’il est aujourd’hui, trop radical, suivant M. Proudhon, puisqu’il regrette le droit d’aînesse. Que veut-il donc ? S’il sait quelques nouveaux moyens de fortifier la tendance à l’égalité, sans altérer les institutions qu’il veut conserver, qu’il le dise. Le principe de l’égalité n’est pas nouveau en France, il a été posé à tout jamais en 1789, et il vient de recevoir une dernière consécration par l’établissement du suffrage universel. Pour mon compte, je ne vois rien au-delà que la loi agraire, et M. Proudhon déclare qu’il en a horreur. Quel est donc le dernier mot de M. Proudhon ?

Nous étions restés jusqu’à ce jour dans l’ignorance de ce remède mystérieux et suprême qui devait, selon M. Proudhon, métamorphoser le monde ; l’auteur vient de le faire connaître enfin dans le Représentant du Peuple. C’est un projet de banque. Personne plus que moi ne croit à l’efficacité des institutions de crédit, mais je n’aurais jamais pensé qu’une pareille institution pût être présentée comme contenant toute une réforme sociale. Je n’en ai lu qu’avec plus d’intérêt et de curiosité le projet de M. Proudhon ; ce projet est singulier, hardi, excentrique, comme tout ce qui sort de la plume de l’auteur ; on y retrouve ce mélange d’observations justes et de déductions outrées qui caractérise son talent, et qui donne à toutes ses idées un tour si imprévu.

On sait comment s’organise ordinairement une banque. On commence par réunir des souscriptions d’actionnaires pour former un premier fonds qu’on appelle le capital de la banque ; ce capital une fois réalisé et converti en valeurs de tout genre, argent, immeubles, rentes sur l’état, etc., la banque commence ses opérations ; elle donne, en échange de bonnes valeurs de commerce qu’elle se charge de toucher à l’échéance, ses propres billets, qui sont payables à vue dans ses bureaux ; elle perçoit sur cet échange un bénéfice qu’on appelle escompte, et qui est ordinairement en France de 4 pour 100 par an ; elle répartit ensuite entre ses actionnaires les bénéfices que lui a valus l’escompte. Il est d’usage qu’une banque restreigne ses opérations de manière à avoir toujours en caisse en numéraire le tiers de ses billets en circulation,