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afin de parer aux demandes imprévues de remboursement. Le reste des billets est garanti : 1o par le portefeuille, c’est-à-dire par les lettres de change signées des meilleurs commerçans, que la banque a escomptées et dont elle doit toucher la valeur au fur et à mesure des échéances ; 2o par le capital de la banque, c’est-à-dire par le premier fonds fourni par les actionnaires, qui répond en cas de non-paiement des lettres de change escomptées. C’est par la réunion de ces diverses garanties qu’on est arrivé à donner aux billets de banque une valeur égale à celle du numéraire proprement dit.

Voici maintenant quelles modifications M. Proudhon propose d’introduire dans ce système par l’organisation de la banque d’échange. D’abord cette banque n’aura pas de capital, c’est-à-dire qu’elle n’aura pas ce premier fonds fourni par les actionnaires qui doit servir de dernière garantie aux porteurs de billets ; en second lieu, elle n’aura point en caisse cette part de numéraire qui sert à rembourser à vue les billets, les billets ne seront jamais remboursables en numéraire. De ces deux points de départ, la suppression du capital et la suppression du numéraire, résulte la possibilité de réaliser la grande amélioration proposée par M. Proudhon, qui n’est rien moins que la suppression des bénéfices de la banque, c’est-à-dire la réduction de l’escompte, qui est aujourd’hui en moyenne de 4 pour 100 à 1 pour 100 seulement par an destiné à subvenir aux frais d’administration. On voit tout de suite quel immense avantage aurait l’établissement d’une pareille banque pour le commerce, puisque le taux de l’intérêt des sommes prêtées tomberait de 4 et 5 pour 100 à 1 pour 100, mais on voit en même temps par où pèche la combinaison : c’est la difficulté de faire accepter le papier de la banque d’échange par le public. Ce papier ne serait plus garanti que par le portefeuille, c’est-à-dire par les lettres de change escomptées ; il n’offrirait pas plus de sûreté que ces lettres de change elles-mêmes ; dès qu’elles ne seraient pas acquittées, il n’aurait plus de gage. Au premier symptôme de crise, il serait déprécié.

M. Proudhon a senti la difficulté, et, avec l’audace ordinaire de son esprit, il est allé au-devant. « Le papier de ma banque, nous dit-il, ne sera pas sujet à dépréciation, puisque, par son principe même, il ne sera pas échangeable contre du numéraire ; il ne représentera pas du numéraire, mais des produits ; c’est pourquoi j’appelle ma banque banque d’échange et ses billets bons d’échange. » Supposez un vaste bâtiment où toute sorte de producteurs viennent déposer leurs denrées, celui-ci son blé, celui-là son vin, cet autre son drap, et ainsi de suite, et où chacun reçoit en échange une quantité de bons représentative de la somme de produits qu’il a déposés ; chacun de ces bons peut être ensuite présenté à l’entrepôt commun pour retirer les objets dont on a besoin. Pour un échange ainsi organisé, l’intermédiaire du numéraire est inutile. Cette image peut servir à faire comprendre la théorie des