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Ce que M. Proudhon attend de la banque d’échange peut être obtenu, dans la mesure du possible, par l’organisation actuelle des banques, et ne peut être obtenu que par elles. M. Proudhon lui-même l’a senti, car, par une contradiction singulière, il demande à l’état, dans un des derniers numéros de son journal, un million pour fonder sa banque. Or, un million, c’est un faible capital, mais c’est un capital ; cette seule concession suffit pour renverser le principe de la banque d’échange. Dès l’instant que cette banque a un capital quelconque, elle n’a rien qui la distingue des autres. Toute banque a pour effet de suppléer en partie le numéraire et de faire baisser le taux de l’intérêt ; de même toute banque est en soi une banque d’échange, car, ainsi que le répète M. Proudhon, d’après tous les économistes qui ont cette fois trouvé grace devant lui, les produits ne s’échangent en réalité que contre les produits, et le papier comme le numéraire n’est que l’instrument de l’échange. Développez, multipliez les banques existantes, faites en sorte qu’il s’en forme de nouvelles sur les points du territoire qui en manquent, encouragez les capitaux à s’y porter par la certitude de bénéfices raisonnables, ramenez la baisse progressive de l’intérêt par la concurrence des capitaux, entourez le billet de banque de telles garanties, qu’il soit partout accepté comme du numéraire, faites que les banques soient assez riches pour prêter à l’industrie sur dépôt de marchandises et même à la propriété sur hypothèque, et tout l’effet utile de la banque d’échange sera produit : toute tentative différente amènerait le résultat inverse.

Voilà donc où aboutit en définitive ce terrible système qui menaçait de tout renverser : un progrès dans l’organisation des banques, progrès qui s’accomplit en quelque sorte de lui-même en ce qu’il a de possible et de praticable, et que tout le monde réclamait plus ou moins même avant la révolution ! J’avais, comme on voit, quelque raison de dire que M. Proudhon n’était pas si noir qu’il en avait l’air. C’est un homme d’esprit et de talent, et avec de tels hommes il n’y a jamais à désespérer. S’il pouvait se garder de l’exagération, il y aurait en lui un publiciste éminent, car il a beaucoup de pénétration et de sagacité. Malheureusement l’exagération paraît être l’écueil inévitable de toute l’école socialiste. On peut même dire que toute l’originalité de cette école n’est que dans l’exagération. Il y a déjà quelques années qu’un historien philosophe, M. de Sismondi, a élevé contre l’économie politique anglaise les objections qui traînent aujourd’hui dans tous les livres socialistes. Les abus de la propriété, les inconvéniens de la concurrence, les dangers du salaire, ont été signalés par M. de Sismondi avec une grande force, mais aussi avec cette simplicité qui est la compagne ordinaire de la vérité. Pourquoi M. Proudhon ne fait-il pas de même ? Il n’est pas de ceux qui ont besoin de grossir la voix outre mesure pour se faire écouter. Croit-il que sa cause y perdrait quelque chose ? Mais cette cause est