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celle de l’humanité, elle est assez grande, assez belle par elle-même, et il a d’ailleurs pour la servir assez de véritable éloquence sans y joindre les artifices de la déclamation et du paradoxe.

À quoi bon aussi se montrer si injuste et si amer envers l’ancien gouvernement ? Puisque M. Proudhon aime la liberté, puisqu’il n’est pas démocrate quand même, il a avec ce gouvernement plus d’une sympathie involontaire. Il n’est pas digne de lui de répéter les injures et les calomnies propagées par les ennemis de la monarchie qui n’est plus. Mieux que personne il peut apprécier ce que ce prétendu règne de l’égoïsme et de la cupidité a fait pour le peuple. Et quant à l’accusation de réaction, qui sert à réveiller les passions mourantes, il est impossible qu’un observateur aussi habile ne sache pas ce qui en est. Quel pourrait être aujourd’hui l’élément d’une réaction ? On a vu combien les privilégiés d’hier tenaient à leurs droits. Cette bourgeoisie, dont on avait fait un épouvantail, s’est empressée d’abdiquer son pouvoir dès qu’il a été contesté et de se confondre dans les rangs du peuple, dont elle ne veut pas se séparer. La promptitude et l’unanimité de la soumission à la république ont suffisamment prouvé que nous n’avions tous qu’un même intérêt, qu’une même pensée. Nous avions cru que la monarchie constitutionnelle était le meilleur des gouvernemens, parce qu’elle assurait le présent en développant progressivement l’avenir : que le peuple nous prouve qu’il peut se passer de ces institutions savantes qui n’avaient pour but que de faire respecter tous les droits, et nul de nous ne regrettera ces prétendus privilèges qu’il n’exerçait que pour le bien commun.

P. S. Ces pages étaient écrites et livrées à l’impression quand ont eu lieu les élections de la Seine qui ont envoyé M. Proudhon à l’assemblée nationale. Je ne suis pas de ceux qui s’inquiètent de ce choix. De deux choses l’une : ou M. Proudhon conservera au contact des hommes et des affaires ses théories absolues, et il sera alors un exemple éclatant de plus de l’impuissance des idées radicales ; ou M. Proudhon renoncera à ce qu’il y a dans sa doctrine d’excessif et de chimérique, pour se borner à défendre ces deux principes qui sont les siens et qui seront le salut de l’avenir comme ils ont été la puissance du passé, la liberté et le crédit, et l’ascendant qu’il a su conquérir sur les masses en fera un des hommes les plus utiles du régime nouveau. M. Proudhon a assez de talent et il y a dans ses opinions assez de vrai pour qu’il lui soit possible de prendre ce dernier parti. Dans tous les cas, il est heureux que les socialistes aient réussi à faire passer d’emblée le plus intelligent d’entre eux. Avec M. Proudhon, l’expérience sera complète et définitive.

Léonce de Lavergne.