n’a fait, par rapport à Saint-Valery, qu’affranchir les cargaisons à destination d’Abbeville de l’obligation d’un transbordement ; aussi la population, qui, trois ans avant qu’il fût ouvert, était de 3,321 habitans, n’était-elle, dix-sept ans après, que de 3,351, et, tandis qu’elle demeurait stationnaire, celle des communes rurales du canton gagnait 11 pour 100.
Le canal maritime creusé sur une ligne droite de 13,400 mètres est un des beaux ouvrages de ce genre qui soient en Europe ; on serait même tenté d’accuser le luxe de sa construction : ses six rangées d’ormeaux, par exemple, ne font que gêner l’action du vent, qui devrait y faire seul tout le service du hallage. Il se termine par le port d’Abbeville, où les navires se rangent le long d’un quai de 600 mètres, côte à côte avec les bateaux qu’amène ou que remporte la Somme canalisée.
Il semble que, dans une si heureuse position, Abbeville eût dû faire de grands progrès : il n’en est rien cependant. La circulation moyenne n’est, sur le canal maritime, que de 40,000 tonneaux, c’est-à-dire du tiers à peine de celle sur laquelle on se croyait en droit de compter avant la construction ; la ville est restée stationnaire quand tout s’élevait autour d’elle. En 1698, elle comptait 17,982 habitans[1] ; elle en avait 18,252 en 1789 ; 18,011 en 1811, et 18,072 en 1846. D’un autre côté, la population de la généralité d’Amiens, déduction faite de celles d’Amiens et d’Abbeville, ses deux seules villes considérables, était, en 1698, de 37 habitans par kilomètre carré ; elle est aujourd’hui, sous les mêmes déductions, de 81 dans le département de la Somme. Si la population d’Abbeville avait suivi la même progression, elle serait aujourd’hui de 39,000 ames ; elle a donc perdu plus de la moitié de son importance relative. Cette décadence est sensible au premier aspect de la ville : à son étendue, à la solitude de plusieurs de ses quartiers, on croirait volontiers que le dénombrement de 1698 n’a pas été complet, et que les habitations encore existantes ont été construites pour une population supérieure à celle qui les occupe.
Sous le ministère de Colbert, la marine trouvait à Abbeville des ressources qu’elle y chercherait vainement aujourd’hui : quatre-vingts corderies étaient alimentées uniquement par les chanvres des bords de la Somme. Les ports de Dieppe, du Hâvre, de Brest, de la Rochelle, en tiraient leurs câbles et leurs cordages, et la supériorité des produits de cette industrie était si bien établie, que les Hollandais avaient formé près de la ville une corderie pour le service de leur marine. L’armurerie d’Abbeville n’était pas alors moins renommée[2]. Tout cela s’est rapetissé. Au lieu d’armes, on fabrique aujourd’hui des serrures ; au