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avec Saint-Valery par un canal qui servirait aujourd’hui de prolongement à celui d’Abbeville. Ce projet, qui, pour rendre à chacun son bien, n’était autre que celui qu’avait présenté en 1738 l’ingénieur Coquart[1], a été repris, en 1835, au ministère de la marine, comme chose nouvelle. M. Beautemps-Beaupré et les ingénieurs hydrographes placés sous ses ordres ont démontré que, si du côté de la terre il était irréprochable, il n’en était malheureusement pas de même de celui de la mer. Il serait, en effet, aisé de construire des bassins magnifiques, de les rattacher, par un canal maritime, à Saint-Valery ; mais les bas-fonds gisans aux abords, et les circonstances habituelles des vents et des courans, rendraient également difficiles l’entrée et la sortie du nouveau port. Cette combinaison a donc été provisoirement abandonnée. Il n’est pas dit qu’on n’y revienne pas ; mais il vaudrait mieux examiner si, au lieu de conserver l’embouchure du canal de la Somme à Saint-Valery, qui est la dernière échelle de l’intérieur de la baie, il ne faudrait pas la transporter au Crotoy, qui en est la seconde, ou au Hourdel, qui en est la première. Si l’on se contentait, en attendant, de fortifier, par la réunion de toutes les eaux du Marquenterre au Crotoy, l'action naturelle qui maintient depuis plus de deux cents ans le chenal sans grandes variations, on pourvoirait de la manière la plus économique à toutes les nécessités du présent, sans gêner en rien les progrès de l’avenir.

Sur l’arête du bourrelet de galets de Cayeux est bâti le bourg, isolé entre la mer et les marais, tantôt ensablé, tantôt balayé par les vents de nord-ouest. Plate et grisâtre, la côte est signalée au large par un phare en briques rouges qu’on prendrait le jour pour une colonne d’ordre dorique. La population de ce lieu ne passait pas autrefois pour très scrupuleuse dans ses procédés envers les navires qui échouaient sur les bancs de la Somme : elle fournit actuellement à ceux qui s’y engagent des pilotes fort précieux par leur connaissance des variations des passes. Principalement composée de pêcheurs, elle s’est élevée, du recensement de 1826 à celui de 1846, de 2,396 ames à 2,909, et, si ce progrès se maintient, elle sera bientôt supérieure à celle de Saint-Valery. Le développement que prend la culture dans l’alluvion dont nous avons déjà parlé est sans doute pour beaucoup dans cet accroissement ; cette alluvion comprend, en effet, un polder de 3,000 hectares de terres excellentes, et le travail y fait chaque jour de nouvelles conquêtes sur les lagunes et les marécages. La navigation n’est pas moins intéressée que l’agriculture au dessèchement complet de ces terres basses et à l’ouverture d’une route de Cayeux à Saint-Valery et à Abbeville : l’un

  1. Projet adressé au contrôleur-général des finances, par M. Coquart, ingénieur délégué par les marchands de Saint-Valery, juillet 1738 (B. N., manuscrit.)