l’organisation dont elle était la conséquence[1]. Ce n’est point à moi de juger si cette sinistre prédiction a été démentie, et si les habitudes et les traditions de cette époque sont complètement effacées ; mais, cela fût-il, l’histoire de la manufacture de Van Robais mériterait encore d’être attentivement étudiée : elle devrait tout au moins donner à réfléchir aux personnes bien intentionnées qui croient à l’organisation des privilèges du travailleur plus de puissance et de dignité qu’à sa liberté quelquefois aiguillonnée par le besoin.
Si d’Abbeville on tourne les yeux du côté de l’intérieur des terres, on voit la Somme canalisée traverser un de nos plus riches départemens ; elle coule au travers de tourbières inépuisables, peut-être appelées, par les progrès des arts chimiques et par le voisinage de la mer, à devenir une des principales ressources de notre marine à vapeur ; sa navigation se rattache par l’Oise à celle de la Seine, et par le canai de Saint-Quentin à celle de l’Escaut ; son bassin comprend sept cent mille hectares de terres fécondes ; au centre est Amiens, avec ses quarante-neuf mille six cents habitans et sa grande puissance industrielle. Un tel pays, baigné par la mer, devrait alimenter un mouvement maritime considérable, et cependant, lorsque la population du département de la Somme est le soixante-deuxième de celle de la France entière, sa navigation n’est que le cent trente-troisième de celle des départemens du littoral[2]. Ce résultat tient aux difficultés et aux dangers de l’attérage de la Somme ; ils compriment l’essor du commerce, et réduisent la marine locale au quart de ce qu’elle devrait être.
Ces observations ne sont pas nouvelles : les envoyés du cardinal de Richelieu en faisaient de semblables en 1640, et il est remarquable que, malgré l’extrême mobilité des sables de la Somme, leur description de l’attérage et de la manière de l’atteindre s’appliquerait assez exactement à l’état actuel des lieux. Alors comme aujourd’hui, de très petits bâtimens se hasardaient seuls à franchir, par la haute mer, les bancs du large ; ceux de 3 mètres de tirant d’eau rangeaient la côte de Cayeux et gagnaient le Hourdel par des passes plus profondes qu’aujourd’hui, mais dont la permanence atteste celle des causes naturelles qui les ont produites, et doit conséquemment être prise en considération dans les projets d’amélioration qui pourront être étudiés. M. de Lamblardie a proposé, en 1793, une solution de ces difficultés, dont l’examen fut étouffé au milieu du tumulte révolutionnaire ; elle consistait à établir au sud de Cayeux un port intérieur protégé par le grand épi de galets qui s’enracine sur la falaise d’Ault, et communiquant