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cet accord nécessaire de la tradition et de révolution particulière de chaque siècle, et il a essayé de rattacher le catholicisme à la révolution française. Il semble aussi avoir compris que, l’instinct de charité chrétienne s’évanouissant pour faire place à un instinct tout militaire, un accord nécessaire devra s’opérer un jour entre le christianisme et l’industrie, et il a bâti tant bien que mal un système socialiste. Il a compris les questions ; mais quelle faiblesse dans la manière de les résoudre ! Et en Angleterre, où en est le protestantisme ? Il est descendu jusqu’à un hypocrite méthodisme, jusqu’à un jésuitique puséysme, qui occupe dans l’ordre théologique à peu près le même rang que l’école écossaise dans l’ordre métaphysique. C’est, comme l’école écossaise, quelque chose de facile à comprendre, de poussiéreux, de pédantesque et de grêle à la fois. El en Allemagne ? La religion est là entre un piétisme béat et un commentaire du docteur Strauss, c’est-à-dire entre le sommeil et la destruction. Pour trouver encore le sentiment religieux, il faut aller loin, bien loin, aux États-Unis.

La religion ! quel homme, de nos jours, n’a souri cent fois en attendant prononcer ce mot ? Quel homme même a su séparer la religion de ce qui s’appelle pratique et dévotion, l’idée religieuse des formes religieuses ? vous, fortes têtes scientifiques, souriez ! vous êtes heureux si, pour soutenir votre existence, il vous suffit de poser les problèmes, de les retourner, de les agiter en tous sens, si la discussion pour vous remplace la croyance, s’il vous suffit d’une religion parlementaire. Mais le vulgaire, qui n’a qu’un faible cœur rongé par le doute, toujours saignant des blessures que la réalité lui porte, a besoin d’une étoile sur laquelle il puisse lever les yeux à tous les momens, et qu’il puisse apercevoir toujours distinctement au-dessus de sa tête. Il faut qu’il voie la lumière : il n’a pas le temps d’en chercher une, de s’en créer une à son usage ; il demande à voir, à croire ; sa demande est directe ; il ne sait ce que c’est que méthode, système, abstraction, critérium ; il va droit à l’essentiel. Il faut une croyance et qu’elle soit rendue visible à ses yeux. Vous, vous êtes heureux rien qu’en posant les problèmes ; mais lui n’est heureux que par la solution. Il lui faut Dieu tout près de lui, et non pas relégué bien loin dans sa majestueuse infinitude. Ces millions d’hommes se transformeront-ils jamais en docteurs s’élevant jusqu’à raisonner sur la nature de Dieu ? Eh non ! ils demandent à l’aimer plus qu’à le comprendre. Et puisque nous énumérons les bienfaits pratiques de l’idée religieuse, disons que le plus grand, à coup sûr, est de faire cesser l’anarchie dans les intelligences. Par son secours, les âmes sont unies entre elles, chacune conservant son individualité et son originalité particulière. Une époque pleine du sentiment religieux est comme un immense sacrifice où brûlent, réunis ensemble, les parfums les plus divers. L’idée religieuse est au sein de la conscience, comme l’ordre au sein du gouvernement. Elle établit l’harmonie, équilibre les facultés, assure à l’ame sécurité et confiance, la met à l’abri du doute et la fait échapper au danger. L’ame alors, appuyée sur la croyance, produit ses œuvres sans efforts, sans précipitation, comme la nature, appuyée sur des lois éternelles, produit les siennes.

Hélas ! oui, ce qui manque à ces millions d’hommes, ce ne sont pas des abstractions, des formules, des constitutions ; c’est une croyance, c’est une réalité. Vous avez vu les terribles et furieux événemens : dites, que signifie