tout cela ? L’humanité et la civilisation se sont tout à coup enfuies ; le bien a disparu, et la nature sauvage et primordiale de l’homme s’est étalée dans sa plus cynique nudité. Pas un rayon d’en haut n’a illuminé ces âmes ; pour ces hommes chrétiens de nom, fils de parens chrétiens, le baptême qui rachète a coulé en vain sur leur front ; ils en sont revenus tout à coup à la réalité la plus terrible de toutes, celle de la destruction et de la mort. En vérité, on aurait dit une légion d’esprits sataniques se levant et disant au milieu des imprécations, du sang et des larmes : Puisque Dieu n’existe plus, au moins prouverons-nous que le diable a encore son empire sur le monde.— Après tant d’expériences, force sera bien à l’indifférence de se réveiller et à l’esprit de réfléchir. Les hommes enfin seront bien obligés de reconnaître que ce monde, s’il n’est pas fécondé par le bien et illuminé par Dieu, sera occupé par les puissances inférieures et obscurci par les vapeurs d’en bas. Ayons confiance en Dieu plus que jamais ; il n’abandonnera pas ses enfans, il enverra encore ses rayons sur la terre, dût une nouvelle révélation être nécessaire ; il enverra encore des héros, des poètes, des prophètes et des hommes inspirés. Le soleil pénètre les nuages et fond les flots du brouillard, l’esprit luit dans les ténèbres et féconde même la mort.
Voyez pourtant comme ces masses sont portées à la croyance. Le doute n’habite point en elles, mais bien l’excessive mobilité des pensées et des sentimens, car leur vie repose sur l’instinct, et non sur la culture humaine. Elles ne demandent pas mieux que de croire. Voyez plutôt : au milieu d’un siècle indifférent et sceptique, des hommes se sont levés qui leur ont prédit le ciel sur la terre et le bonheur perpétuel. A défaut d’autres croyances, elles ont pris celle-là. Elles cherchent ce paradis terrestre, elles le demandent, persuadées qu’on leur cache le chemin qui y mène. Alors la fureur arrive, et le fanatisme revêt une forme sous laquelle il ne s’était jamais montré jusqu’à présent. Hélas ! au lieu d’un paradis, ils font de cette terre un lieu d’expiation, et Dieu veuille que certaines prédications ne fassent pas de la France la prison des incurables dont parle quelque part Platon !
Prédicateurs insensés, qui avez cru régénérer l’humanité par des crises violentes, ne savez-vous pas qu’il a été écrit autrefois : « Partout et toujours le remède du mal sera la douleur, et le salaire du péché la mort ? » Vous accroîtriez la production dans des proportions incroyables, vous répandriez et vous égaliseriez le bien-être et le luxe, que vous n’auriez pas atteint le mal et résolu la question. Ce n’est pas la souffrance qui est le mal, c’est le mensonge, le vice, la sensualité. Voilà le mal qu’il vous faut atteindre, si vous voulez donner le bonheur. Avec votre luxe également réparti, vous nourrirez les organes, mais l’ame vous échappera toujours. Une croyance seule peut donner le bonheur, une croyance qui remplisse la conscience, coule et circule dans l’ame comme le sang dans la chair ; une croyance qui fasse partie de la vie de l’homme, qui soit en lui, non pas à l’état d’abstraction, mais mêlée à tous ses actes, à toutes ses pensées. Alors le mal sera atteint dans sa racine ; alors la vie de l’homme sera assise sur une base inébranlable. Ce n’est que par là que l’humanité se régénérera : tout le reste n’est que chimère.
En dehors des résultats pratiques, la religion est la chose la plus haute de toutes la religion, c’est l’idéal. C’est l’idéal devenu visible et planant mystérieusement