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véritablement à faire l’éducation des hommes et à les pousser dans la voie du progrès. Je veux le croire, car alors la littérature et les arts feront les délices des cuistres et des sots qui sont en majorité dans cet univers. Il n’y a qu’une seule idée qui reste bien persistante au fond de l’esprit de tous, c’est celle du bonheur. Il me semble voir un enfant indiscipliné qui vous prend à la gorge et dit : Je veux le bonheur, il me le faut. A quoi nos gouvernans répondent qu’ils ne l’ont pas dans leurs poches, mais personne ne veut les croire.

Tout cela, c’est la folie mêlée à la puérilité ; cependant, puisque la sincérité, l’abnégation, le dévouement, le devoir, la croyance, la vénération, le respect de l’autorité et de la loi, l’amour de la vérité, le sentiment de l’art et de l’infini, n’existent plus, de quoi aujourd’hui se compose la vie des peuples ? sur quoi repose-t-elle ? On me répond : Sur des constitutions. Mais ces constitutions, chartes, contrat social, c’est-à-dire conventions, choses contingentes et par conséquent éphémères, sur quoi reposent-elles elles-mêmes ? Sur un accord prétendu des volontés, sur la juxtaposition des votes, sur l’élection, sur des fictions de souveraineté. Dans tout cela, je ne puis voir qu’un mécanisme gouvernemental. Il est impossible que le droit d’élection soit le fondement sur lequel la vie morale des peuples se soutient. En quoi cette constitution me fait-elle croire, espérer, aimer ? La vie des peuples doit évidemment être fondée sur autre chose ; elle doit être appuyée sur les forces vives de l’ame. Quoi ! c’est sur une constitution que la vie d’une nation est appuyée ! Mais cette constitution guérira-t-elle la société de ses maux ? La guérira-t-elle du charlatanisme, du mensonge, de la sensualité ? l’appuiera-t-elle sur l’idée du devoir, lui donnera-t-elle une espérance ?

Vous dites vrai, répondent alors les empiriques, dont la science sociale est comparable à la médecine des bohémiens du moyen âge ; aussi avons-nous toute prête la panacée universelle. Et mille voix s’élèvent à la fois : Faisons de l’humanité une maison de banque, — un comptoir d’escompte, — un bazar oriental riche des produits de la civilisation et de la nature où s’étaleront de belles esclaves toutes nues, — un gymnase antique où les passions conduiront l’homme magnétiquement comme l’aimant attire le fer. Ceci au moins est réel. Prenez ma formule empirique : abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme. — Les produits se soldent contre des produits. — A chacun selon ses besoins.— Travail attrayant ! — Mais la vie, pouvez-vous l’emprisonner dans votre formule. Prenez-vous pour la vie cette activité extérieure, ces banques, ces exploitations agricoles ?

Le corps social est malade, très malade. A son chevet sont assis le docteur et le prêtre. Le docteur, c’est le socialisme empirique ; le prêtre, c’est le faiseur de constitutions ; ils se raillent l’un de l’autre, se sentant impuissans à faire renaître la vie. L’empirique emploie les remèdes désespérés et avec le plus grand. sang-froid applique le moxa brûlant, taille, disloque et dit : « Que le malade périsse plutôt que mon ordonnance. » De l’autre côté, le politique lui présente son évangile et lui récite les litanies de la constitution. Voilà la parole de vie, voilà ce qui fera marcher les boiteux, voir les aveugles et entendre les sourds. Hélas ! la société ne sent pas la vie revenir ; ni l’un ni l’autre effectivement ne savent le mal dont elle souffre. Le corps est affecté, mais ce n’est pas là qu’est le siège du mal, c’est dans l’ame qui est troublée, à demi folle, sans qu’elle