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le compte liquidé et clair de ces sommes énormes qui ont passé l’on ne sait où, fonds des ateliers, fonds de police, fonds secrets de toute sorte, épuisés comme par enchantement en moins de quatre mois. Plus facilement encore que l’argent, les embrigadés de la révolte auront eu les armes. Qu’on se rappelle seulement ces distributions de fusils et de cartouches répandus d’une main si prodigue parmi les montagnards de M. Caussidière et les montagnards de M. Sobrier. Qu’on songe à cette aveugle profusion avec laquelle quiconque le voulait bien recevait trois ou quatre fusils, au lieu d’un, lors de l’armement de la garde nationale. L’Anglais et le Russe se seraient conjurés pour enrégimenter, pour solder, pour armer nos émeutiers ; ils n’auraient pas si vite et si sûrement réussi.

Quel était d’ailleurs le mot d’ordre de la sédition ? C’était toujours ce cri de république démocratique et sociale qui naissait le 16 avril, qui dominait le 15 mai. Cette grande parole creuse avait été depuis longuement colportée dans les clubs. Expliquée, accommodée au goût de chacun, elle servait à tous de cri de ralliement ; elle enlevait des quartiers tout entiers, les quartiers de l’indigence et du travail, auxquels on avait persuadé que l’indigence diminuerait quand on supprimerait partout la richesse, que le travail croîtrait en fécondité quand on l’enchaînerait partout. A qui donc remonte la responsabilité de ces funestes doctrines, et qui devait s’intéresser à leur propagande, sinon ceux qui bâtissaient sur elles tout l’avenir de leur fortune politique ? M. Caussidière avait bien raison de vociférer sa douleur devant l’assemblée, lorsqu’il disait, dans la nuit du 27 juin, qu’il était, lui aussi, démocrate socialiste, et qu’il avait peur de rencontrer des amis parmi les vaincus. Nous attendions avec impatience cette confession qu’il annonçait toujours et qu’il n’achevait jamais ; peut-être aurions-nous appris pourquoi les pauvres gens du faubourg Saint- Antoine, les moins déterminés, les plus pacifiques, avouaient tristement, après la bataille, qu’ils avaient été bien trompés, qu’ils avaient compté jusqu’au bout sur le citoyen Caussidière et sur ses canons. Le citoyen Caussidière n’aurait point, en tout cas, fait un gouvernement à lui seul.

Nous ne pouvons raconter ici cette bataille héroïque, dont tout le monde connaît maintenant les épisodes et l’ensemble, dont le secret ne sera point révélé tant que les documens officiels ne parleront pas. Paris a là quatre journées qui marqueront dans son histoire déjà si tragique, quatre journées de guerre où il n’est pas tombé moins d’officiers qu’aux grandes luttes de l’empire. Quelle guerre cependant ! Que d’atrocités commises de sang-froid ! Quels raffinement de barbarie ! Et comment parler du progrès de l’humanité, quand on voit la bête toujours la même au fond de l’homme sitôt qu’elle s’éveille, toujours aussi farouche dans la vie civilisée que dans la vie sauvage ! Nous détournons les yeux de ces horreurs, nous nous efforçons de les attribuer à ces êtres dégradés qu’on trouve toujours prêts, en de pareils momens, à se jeter sur la société comme une proie. La masse des combattans était fanatisée par des passions moins effroyables, sinon plus nobles. Elle ne rêvait point le pillage immédiat et brutal ; elle écrivait : Mort aux voleurs ! sur toutes les boutiques du faubourg ; mais après la victoire elle aurait organisé la spoliation en grand, pour peu qu’elle eût essayé de mettre en pratique l’évangile qu’elle arborait pendant la fusillade, pour peu qu’elle eût voulu réaliser la fraternité sanglante de sa prétendue république sociale. Le commun des soldats de cette république n’entendait même là dessous rien autre chose que le