gouvernement du pays par les ouvriers ; c’était la traduction des sublimités de la doctrine telle qu’on la donnait en langue vulgaire. La doctrine enfin, pour un certain nombre, la sainte cause se réduisait au plaisir matériel de la guerre, à l’émotion des coups de feu. Il y avait là d’anciens militaires qui ont sans doute été pour beaucoup dans la stratégie remarquable de l’insurrection : le champ de bataille n’avait pas été improvisé, et de toutes ces forteresses qui hérissèrent la ville en moins d’une matinée, il n’en était probablement pas une qui n’eût d’avance sa place marquée. La capitale était assaillie par quatre côtés à la fois. Sur la rive gauche, le Panthéon, la rue Saint-Jacques, la place Saint—Michel et la rue de La Harpe, étaient occupés par une colonne d’insurgés ; une autre colonne, sur la même rive, tenait la rue Saint-Victor, la place Maubert et le pont de l’Hôtel-Dieu. Sur la rive droite, tout l’espace compris entre le faubourg Poissonnière et le faubourg du Temple appartenait à un troisième corps, qui avait pris pour quartier-général le nouvel hôpital en construction dans le clos Saint-Lazare. Enfin le faubourg et la rue Saint-Antoine, depuis la barrière du Trône jusqu’à la place Baudoyer, formaient une longue arène défendue par le quatrième corps. Toutes ces colonnes convergeaient dans un même plan d’attaque sur ce vieil Hôtel-de-Ville où l’on a déjà tant fait et défait de gouvernemens, et où l’on se flattait d’en inaugurer encore un nouveau.
La garde nationale, la garde mobile, l’armée, les troupes de récente création, garde républicaine, garde mobile à cheval, tout le monde a glorieusement rempli son devoir dans cette cruelle occurrence. C’est pour sûr l’élan vigoureux de la garde nationale sur la barricade Saint-Denis qui a déconcerté, dès le principe, tout le système de l’insurrection, et coupé court à ce rapide progrès qui la portait par bonds jusque vers les quais. Une incroyable négligence avait laissé l’émeute maîtresse absolue du terrain pendant plusieurs heures, une négligence plus fatale encore avait laissé pendant les heures suivantes la garde nationale toute seule et sans appui contre les barricades. On eût dit que l’on prenait à tâche de la démoraliser. La vertu civique a remplacé par bonheur, chez ces généreux soldats, l’expérience militaire qui leur manquait ; ils ont su résister et mourir. L’armée, l’artillerie, d’abord trop peu nombreuses, se sont grossies de tous les régimens appelés en hâte sur Paris. Paris enfin a lancé sa jeune garde mobile, qui devait si chèrement payer l’honneur de sa première campagne. C’était un merveilleux spectacle que de voir au feu ces trois ordres de combattans, si divers et si excellens dans leur diversité : la garde nationale s’avançant avec la résolution profonde d’un dévouement réfléchi, la ligne marchant au commandement, obéissante et calme, la mobile se précipitant avant l’ordre, courant, sautant, roulant jusqu’au pied, jusqu’au faîte des barricades, entraînant tout avec elle, officiers et généraux, fût-ce même le général Lamoricière, qui fit suivre plus d’une fois ces indomptables enfans pour ne pas les laisser tuer.
Exploits à jamais regrettables, puisqu’ils étaient remportés sur des concitoyens égarés par des enseignement pervers ; exploits achetés par de bien douloureux sacrifices, puisqu’ils ont coûté à la patrie ces bons citoyens qui la défendaient d’un si grand cœur, puisque cette guerre impie a décimé l’élite de notre vieille armée, puisqu’elle nous a ravi par rangs si serrés cette héroïque jeunesse dont la révolution de février avait fait la pépinière d’une armée toute nouvelle ! Qui n’a pus tout de suite nommé, parmi les plus nobles victimes, cet énergique et loyal Négrier ? Qui ne serait reconnaissant à l’assemblée nationale de ce qu’elle