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Alleluiah ! comme les palmiers de Bethel m’envoient des senteurs délicieuses ! Quel parfum la myrrhe d’Hébron exhale ! comme le Jourdain murmure et se balance d’allégresse ! — Et mon âme bienheureuse se balance et chancelle aussi, et je chancelle avec elle ; et, chancelant, le brave sommelier du Rathskeller de Brème m’emporte au haut de l’escalier, à la lumière du jour.

Brave sommelier du Rathskeller de Brème ! regarde ; sur le toit des maisons, les anges sont assis ; ils sont ivres et chantent ; l’ardent soleil là-haut n’est réellement qu’une rouge-trogne, le nez de l’esprit du monde, et, autour de ce nez flamboyant, se meut l’univers en goguette.


Épilogue.


Comme les épis de blé dans un champ, les pensées poussent et ondulent dans l’esprit de l’homme ; mais les douces pensées de l’amour sont comme des fleurs bleues et rouges qui s’épanouissent gaiement entre les épis.

Fleurs bleues et rouges ! le moissonneur bourru vous rejette comme inutiles ; les rustres, armés de fléaux, vous écrasent avec dédain ; le simple promeneur même, que votre vue récrée et réjouit, secoue la tête et vous traite de mauvaises herbes. Mais la jeune villageoise, qui tresse des couronnes, vous honore et vous recueille, et vous place dans ses cheveux, et, ainsi parée, elle court au bal, où résonnent fifres et violons, à moins qu’elle ne s’échappe pour chercher l’ombrage discret des tilleuls où la voix du bien-aimé résonne encore plus délicieusement que les fifres et les violons !




Certes, Henri Heine n’a pas long-temps été ce rêveur inutile dont les pensées d’amour ne font qu’émailler l’or des blés, — son esprit a produit aussi de riches moissons pour les rustres armés de fléaux qui n’apprécient que ce qui leur profite. Lui seul a tenu tête long-temps à la réaction féodale qui ensevelissait l’esprit vivant de l’Allemagne sous la poussière du passé. Il avait compris que, de la France, devait jaillir encore une fois la lumière promise au monde, et il se tournait invariablement vers cette seconde patrie. Nous apprécierons un jour cette phase importante de sa vie littéraire, nous dirons ce que lui doit notre pays, si concentré en lui-même, si ignorant au fond du mouvement des esprits à l’étranger. — Hélas ! le long séjour d’Heine parmi nous ne lui a guère profité pourtant. Frappé à la fois de cécité et de paralysie, le poète souffre, jeune encore, des plus tristes infirmités de la vieillesse. Le destin d’Homère serait, pour lui, digne d’envie ! — qu’il obtienne du moins un peu de cette gloire qui, pour la plupart des poètes, ne fleurit que sur leurs tombeaux.


Gérard de Nerval.