Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou industrielles ne changeront point ces choses-là ; elles ne feront pas, par exemple, qu’il y ait deux végétations chaque année, et qu’avec un léger travail les terres donnent à l’homme en abondance tout ce qui lui est nécessaire. Elles ne feront pas non plus, ces réformes, que tous les hommes naissent avec la même force, la même intelligence, la même activité, la même sagesse. Voilà pourtant ce qu’il faudrait pour réaliser les utopies de nos réformateurs. Que dis-je ? ce ne serait pas assez : il faudrait que Dieu fît tomber du ciel tout ce qui est nécessaire à l’homme ; car, tant qu’on devra produire ce nécessaire par le travail, il y aura fatalement de grandes inégalités, parce que Dieu a créé les hommes très inégaux dans leurs aptitudes au travail.

Les rêveurs philanthropes, les démagogues de tous les temps et de tous les pays, ont semblé croire qu’il y avait quelque part une grosse masse de richesses données par Dieu, et qui pourrait suffire à tout le monde, si quelques aristocrates ne s’en étaient pas emparés avec un égoïsme impitoyable. Cette idée est, à leur insu peut-être, la base de tous leurs systèmes, de toutes leurs déclamations. Que signifierait sans cela cette éternelle assertion : que la révolution de février est sociale et non pas politique ? Que signifierait cet autre axiome du catéchisme socialiste, que les richesses sont mal réparties ? On voit clairement derrière ces propositions l’idée qu’il y a des richesses innées, préexistantes au travail, qui appartiennent à tous, et qui, étant mal réparties, appellent une révolution sociale. S’il est démontré que ces richesses innées, données par Dieu, n’existent pas : qu’il n’y a d’autres richesses que celles produites par le travail (et la démonstration est des plus faciles), que devient la doctrine de la révolution sociale, d’où l’on veut faire sortir une meilleure répartition des richesses ? Cette répartition, n’est plus que le vol fait au travail, à l’intelligence, à l’économie ; c’est l’œuvre du frelon pillant la ruche de l’abeille industrieuse. Si nous voulions imiter la violence de certains publicistes, ne serions-nous pas autorisé à leur renvoyer la qualification qu’ils ont appliquée au détenteur de la propriété ?

On ne saurait trop s’étonner que les yeux ne soient pas frappés de cette vérité écrite, pour ainsi dire, sur toute la surface du sol : qu’il n’y a de richesses que celles qui sont produites par le travail de chaque jour, de chaque année ; que les richesses produites, fruit du travail aussi, sont infiniment minimes, en raison des besoins d’une société de trente-six millions d’âmes ; que, lors même qu’on les prendrait à ceux qui les possèdent pour les distribuer à ceux qui ne possèdent pas ou presque pas, on n’améliorerait point la situation des derniers ; que, loin de là, on les appauvrirait. La terre seule, étant créée par Dieu, pourrait paraître, au premier aperçu, une richesse préexistante au travail et appartenant à tout le monde. L’idée était vraie au moment